Une écoute sensible. Essai sur une spiritualité post-moderne
4 mars 2015, par René Barbier
« Le vol de l’aigle ne laisse pas de trace » – Krishnamurti
« Parfois il paraît que nous sommes au centre de la fête,mais au centre de la fête il n’y a personne,au centre de la fête il y a le vide,mais au centre du vide, il y a une autre fête. » – Roberto Juarroz
L’approche transversale
L’écoute sensible est l’attitude philosophique qui convient à l’approche transversale en sciences humaines. Cette théorie d’approche transversale (Barbier, 1997) a été ma contribution à la recherche universitaire ces trente dernières années. Professeur de sciences de l’éducation, j’ai progressivement dégagé une démarche de recherche à orientation clinique, dont l’objet de connaissance était l’imaginaire des pratiques, des réalisations humaines, et des discours les accompagnant. Mon enseignement à l’université, comme mes recherches-actions pédagogiques sur le terrain, ont été complètement fécondés par cette approche transversale.
J’ai toujours voulu conjuguer trois dimensions de l’imaginaire : pulsionnel, social et sacral. Il me semble, en effet, que l’imaginaire humain ne peut être fragmenté et, contrairement à Mircea Eliade, qui fait du sacré, un axe quasi exclusif de sa pensée, au détriment du symbolique durkheimien (Tarot, 2008, pp. 485-514), je ne peux laisser de côté la dimension sociale, que mes études de sociologie m’ont confirmée, ni la dimension d’inconscient personnel que toute introspection un peu rigoureuse révèle absolument, même si, sur ce dernier plan, j’ouvre le questionnement freudien et lacanien du côté de Carl Gustav Jung et des psychologies humanistes, notamment de Stanislav Grof et, plus récemment, de l’Haptonomie (Revardel, 2003). Il faut dire que la vision du monde de Jiddu Krishnamurti (1895-1986) m’a fortement interpellé et animé depuis plus de cinquante ans. J’ai découvert, avec elle, de secrètes connivences avec la pensée chinoise, notamment taoïste, et avec le bouddhisme chan (et zen).
Trois types d’écoute
Aujourd’hui ces influences se prolongent par des ouvertures vers ce que certains nomment la « spiritualité laïque » (Comte-Sponville, 2007) qui me convient, encore que je préfère le terme « devenir-sage » tant il est vrai que la sagesse n’est pas un état établi une fois pour toutes, mais un processus sans cesse inachevée, qui s’approfondit avec l’âge. Pour comprendre cet imaginaire tridimensionnel, j’ai proposé trois types d’écoutes intégrées dans l’approche transversale : une écoute scientifique singulière plutôt clinique, une écoute mythopoétique et existentielle et une écoute philosophique et spirituelle. La manière de faire pour construire du sens avec les autres sur des fragments de vie individuelle et collective, dépend d’une conception exigeante de l’écoute sensible qui est aussi une parole et une action.
L’écoute est scientifique et clinique. Elle prend appui sur les données et les pratiques en sciences humaines cliniques reconnues et sans aucun esprit dogmatique lié à une école de pensée. Elle sait utiliser, le cas échéant, les sciences dites « dures » ou « objectives », pour mettre en perspective des éléments cliniques à recadrer dans un champ plus général. Mais son champ spécifique est plutôt de l’ordre de l’expérientiel pour la vie individuelle et de l’expérimentation sociale pour la vie des groupes et des sociétés. Son inspiration est plutôt phénoménologique et herméneutique.
L’écoute est également mythopoétique et existentielle. Elle est très attentive à ce qui surgit dans un groupe, ce qui vient déranger l’ordre établi de la structure. Elle interroge sans cesse ce dérangement dans un sens non réducteur. Elle laisse la place aux minorités, aux déviants, aux marginaux. Elle écoute principalement l’expression symbolique et mythique. Mais, dans la mesure où l’écoute concerne le mythe elle repère tout ce qui vise à l’enracinement de l’humain dans un contexte, une histoire, un passé lointain, avec ses entités sans cesse réactivées, ses dieux et demi dieux, ses récits recommencés et transformés, ses bases institutionnelles qui garantissent cette reproduction de la tradition.
L’écoute est enfin philosophique et spirituelle. Elle porte sans cesse son intérêt sur le sens. Elle pose des questions sur ce qui nous rattache à la vie, ce qui nous implique en dernière instance. Elle vise à déterminer les valeurs ultimes de l’existence, les croyances, les lignes de sens qui ne se délitent pas facilement. Elle relie les données recueillies aux grandes traditions de la pensée universelle et aux sagesses du monde. Elle ne méprise aucune des propositions signifiantes de ce qui est de l’ordre de la vie et de la mort, mais sans jamais tomber dans le sectarisme. Elle met en perspective le sens ultime de la vie donnée dans une philosophie par une autre forme philosophique pouvant appartenir à des cultures très différentes. Surtout, elle questionne d’une façon ininterrompue l’ordre du monde, le sens de l’existence, le problème du bonheur, de la vérité, de la souffrance et de la joie.
La méthodologie de l’approche transversale
La méthodologie complètement liée et opératoire par rapport à la problématique de l’approche transversale est celle de la recherche-action que j’ai modulée, au fil des ans, en fonction de l’approfondissement de mon intérêt de connaissance sur le sens de la vie éclairée par la poésie (Barbier, 1977, 1996). L’écoute sensible relève d’une « philosophie de l’expérience » telle que nous en parle, si justement, Pierre Hadot, à partir de sa haute connaissance de la philosophie grecque. Une fois de plus, à travers lui, nous pouvons discerner les analogies plus ou moins subtiles de certains courants de cette pensée avec celles, traditionnelles, de l’Inde ou de la Chine. Les sciences de l’éducation ne sont pas très réceptives à cette approche trop fortement multiréférentielle et complexe, un peu loin du regard monodisciplinaire qui se cache derrière les déclarations de principe sur la multidisciplinarité scientifique. Mais certains de ses représentants ne sont pas fermés a priori et permettent quelques ouvertures, qui se sont traduites, pour moi ces dernières années, par des directions de thèses de jeunes chercheurs épris d’aventure épistémologique et d’interculturalité (Choi (1999), Fernandez (1999), Abras (2000), Kim (2000), Lessa-Catalao (2004), Gonçalves (2003), Lemonchois (2004), Hannachi (2007), Ouyang (2008), Zhao (2008), Filliot (2008), Nicolas (2008), Antonella Verdiani (2010), Geppina Lumare (2011)). Depuis ma retraite, en juillet 2007, c’est par le truchement de l’Institut Supérieur des Sagesses du Monde (ISSM) que je continue mon chemin dans cette voie.
Au fil des années, en tant que professeur des universités soucieux d’éducation, je me suis aperçu de la nécessaire dialogique entre le chercheur scientifique et l’éducateur. La posture de l’un ne se résume jamais dans celle de l’autre. Mais, en même temps, à l’université, les deux postures sont nécessaires et ne peuvent coexister que dans une approche paradoxale. Essayons de cerner ce paradoxe.
Du chercheur scientifique
Le chercheur scientifique est une personne soucieuse de rigueur conceptuelle et méthodologique, formée par une tradition épistémologique qui sépare le chercheur de l’objet de sa recherche. Il est animé par un désir de savoir et de faire savoir correspondant à une meilleure connaissance de la réalité. Son projet assuré est toujours de faire surgir une connaissance plus approfondie du monde. Pour ce faire, il dispose de deux grandes voies de recherche.
La première, la plus classique, dominante dans les sciences de la nature, consiste à élaborer une question de recherche, des hypothèses en fonction d’un champ théorique défini, de proposer un modèle de recherche, de préciser les variables dépendantes et indépendantes, le protocole de recherche, l’espace-temps de celle-ci, les populations susceptibles d’y intervenir, les outils et les méthodes d’investigation les plus appropriés pour conduire le travail, les propositions d’interprétation des résultats obtenus et le fait que celles-ci sont toujours falsifiables, en fonction d’autres recherches. Cette voie de recherche est animée par un paradigme de la séparativité et de « l’éthique de la connaissance objective » (J. Monod).
La deuxième, plus récente, s’ouvre à la recherche clinique et introduit la notion de complexité. Elle semble plus appropriée à la recherche en sciences humaines et sociales. Dans cette optique, le chercheur et son objet-sujet de recherche sont en interaction permanente. Il s’agit, avant tout, de relier ce qui est séparé et de distinguer ce qui est confondu, selon le mot de Edgar Morin. L’espace et le temps sont pris en considération d’une manière beaucoup plus réelle que dans la démarche expérimentale. L’objet de recherche, toujours porté par des sujets dotés de désir, rétroagit sur le chercheur et son imaginaire de recherche. Il y a coformation entre le chercheur et le(s) sujet(s) de sa recherche. L’existentialité de chacun est prise en compte. Le travail sur le transfert et le contre-transfert est essentiel. L’implication est analysée et constitue une catégorie fondamentale de ce type de recherche. Mais, le projet scientifique reste toujours de produire de nouvelles connaissances réfutables, même si elles sont singulières et non reproductibles dans leur spécificité. Le paradigme de ce type de recherche est celui de la complexité et l’éthique est celle de « l’évangile de la perdition» dont nous parle E. Morin. Elle convient, notamment à l’approche scientifique des situations-limites, mais elle reste, malgré tout, en deçà d’une compréhension satisfaisante.
Il y a une troisième voie de recherche, qui nous fait sortir du projet de recherche « scientifique » pour nous ouvrir simplement à une recherche de l’existence significative de soi-même et de l’autre, en situation. Dans ce type de recherche, il n’y a pas de projet autre qu’être ensemble, dans une co-présence permanente et attentive à la vie qui se tisse d’instant en instant. C’est, souvent, la seule possibilité d’une relation avec des personnes en situation-limite. Patrick Declerck parle, à propos des « naufragés », ces clochards des grandes villes, d’une « souffrance-fond », de l’ordre de l’infans d’avant le langage, dotée de forclusion, et irréductible à tout désir de normalisation des soignants.
Dans ce cas, seule demeure la présence chaleureuse d’accompagnants matures, dans des conditions de vie acceptables et sans projet de réinsertion, un peu comme Fernand Deligny qui respectait les « lignes d’erre » de ses enfants autistes.
Ecouter/voir les situations-limites
Pour ma part, la perspective d’une écoute sensible et d’une approche multiréférentielle de ce que je nomme des « situations-limites », en empruntant le terme à la philosophie existentielle de Karl Jaspers, m’ouvre à un autre type d’observation en éducation. Ce dernier parle de situation-limite à propos de ce qui met en acte la faute, l’échec, la souffrance ou la mort.
Vu sous cet angle, dans la sphère du social et de l’éducatif, une situation-limite peut être celle qui caractérise la position de chômeur de longue durée, celles du malade en fin de vie, de la personne qui vit une N.D.E. (Expérience proche de la mort), du vieillard solitaire du quatrième âge, du drogué très « accroché », de l’immigré en proie à l’acculturation antagoniste, du sans domicile fixe, de la femme et de l’enfant battus, des jeunes laissés à la rue, des différents cas de prostitution, de ce que Patrick Declerck nomme « les naufragés », etc., mais également des épreuves d’une autre réalité vécue par les mystiques du monde entier, souvent d’une façon plus illuminée et moins tragique que pour les cas précédents. Sans aller, d’ailleurs, jusqu’au cas extrême de bouleversement de la conscience, bon nombre de personnes sont sur une voie de sagesse qui n’emprunte pas nécessairement les chemins balisés par les grandes religions.
En se replaçant dans une perspective d’observation et de recherche, que peut-on modéliser par rapport à ce type de situation-limite ? En particulier, existe-t-il un mode d’approche sensible de telles situations ? Que signifie, par exemple, « observer » un sidéen au seuil de la mort ? Comment faire une recherche sur des jeunes de la « galère », dans une banlieue défavorisée ? Que veut dire observer les comportements d’un vieillard dans une recherche sur la solitude ? Comment enquêter sur les circuits de la drogue dans une favela de Rio de Janeiro sans se faire immédiatement expulser par les intéressés ? Que signifie apprendre à écouter les mourants pour un personnel hospitalier d’aujourd’hui ? Qu’est-ce qu’observer un « projet » d’un chômeur en fin de droits ?
Au fil de ma pratique j’ai formulé ainsi les dix principes d’une écoute sensible. La sensibilité est à distinguer de l’émotion, de la passion et du sentiment. On peut la définir très brièvement par « ce qui fait sens par tous les sens ». Elle comprend dix points-clés.
1) L’attentionnalité plutôt que l’intentionnalité : s’enraciner dans l’attention et la présence instantanée ; développer une vision de reliance holistique, totalisante, complexe et processuelle en toute situation. Critiquer tout projet qui bafoue l’unité du vivant. Mettre au jour tout ce qui tend à figer, fixer, une situation par nature évolutive.
2) La symbolique de la vie : savoir exister selon la logique de l’échange symbolique dans l’instant de la relation avec le monde et avec les autres : donner, recevoir, rendre. Savoir “ Habiter poétiquement le monde ” (cf. Hölderlin et Heidegger).
3) Réapprendre à vibrer : accepter d’être affecté par ce qui est, sans a priori (beauté, laideur, cruauté, bonté…). Le sourire de la Joconde est magnifique, mais la forme hérissonnée du virus du sida est également d’une beauté terrifiante.
4) Être son corps : savoir observer le sensoriel et l’imaginaire (leurrant et créateur) en soi comme chez autrui.
5) Se libérer de la peur de l’inconnu et savoir jouer avec l’humour. Comprendre le sens de l’improvisation mythopoétique comme dépassement de l’angoisse de mort et création d’un être ouvert à la vie.
6) Ne pas craindre d’entrer dans l’émotion (rires, pleurs) quand elle se présente, mais sans s’y attacher et sans renforcer le spectaculaire de l’émotionnel.
7) Réfléchir sur la diversité de la vie en termes de bipolarité antagoniste et d’approche paradoxale (comme nous le proposent aussi bien l’école de Palo Alto que Stéphane Lupasco ou les sagesses chinoises traditionnelles).
8) Accepter inconditionnellement l’autre dans une « onde de compassion » permanente, à découvrir dans l’action, le comportement et l’attitude justes.
9) Partir du principe de congruence à l’égard de soi-même, s’ouvrant sur la médiation/défi à l’égard des autres.
10) Laisser venir à nous « Le Grand Bleu » : savoir vivre et méditer dans le silence des grands fonds sans image ni concept, avant toute action ou toute parole.
Structure de l’ouvrage
Une introduction synthétise la théorie de l’approche transversale et l’écoute sensible développée par l’auteur à la fin du XXe siècle. Elle constitue la base d’une compréhension en sciences humaines qui se refuse à renier la dimension à la fois mythopoétique et philosophique de l’existence humaine concrète.
Le chapitre un s’ouvre sur un questionnement concernant une approche d’une philosophie non habituelle en éducation. Peut-on penser un registre philosophique qui relèverait plus de l’expérience vécue que du simple concept ? Doit-on accepter d’être fécondé par des orientations de pensées qui sont propres à d’autres cultures, notamment orientales ? Que dire d’une attitude « mystique » à l’égard de la vie et comment aborder son langage qui est si souvent codé par la culture dans laquelle elle s’exprime ? Certains films nous interpellent sur la façon dont nous organisons notre manière de vivre ensemble. Mais il n’est pas sûr que nous possédions actuellement les modes d’approches adéquats pour répondre d’une façon pertinente à cette question. Le philosophe doit sans doute devenir de plus en plus existentiel et « clinicien ». Il développe alors un sens de la reliance et de la gravité qui semblent liées à la complexité de l’être humain. S’il sait écouter les cultures autres qu’occidentales, il aborde nécessairement la vie spirituelle, en dehors d’un dogmatisme religieux qui l’enfermerait. Là encore certains films nous permettent de prolonger le questionnement. Se former existentiellement remet en question les impasses sur lesquelles reposent les bases de notre société. La notion de projet, si prométhéenne, est bousculée. L’Agir sur le monde laisse apparaître sa complexité affective et s’éloigne d’une conception purement rationnelle et comptable. L’imaginaire devient inévitable. Avec lui, c’est la dimension créatrice et mythopoétique qui s’affirme débouchant sur la notion d’instant poétique comme forme du présent et instance de connaissance de soi. Nous touchons peu à peu les racines de la sagesse comme un des éléments d’une conception tripolaire du sacré, à côté de la religion et de la spiritualité.
Le chapitre deux décrit les deux métaphores, celle de la pierre et celle de l’eau qui nous éclairent sur la dialogique entre les civilisations, mais également sur la manière dont nous donnons du sens au monde, y compris en sciences humaines. Ainsi s’instaure un « principe de sensibilité » nécessaire à la quête de sens. Une médiation en résulte, en fin de compte, à la fois multiréférentielle et acceptant une approche du processus de la complexité de la vie humaine. L’écoute sensible de la pluralité des perspectives, des espaces-temps et des référentiels théoriques en constituent les dimensions les plus significatives.
Le chapitre trois tente une première approche de la notion de Profondeur comme nomination inachevée et imparfaite du Réel. Ce dernier apparaît comme largement inconnu et doté d’un non-savoir irréductible. La frustration qui en résulte se compense par des aspects magiques ou illusoires mais également par des sublimations plus reconnues socialement. La Profondeur se donne à voir en général sous l’angle d’une dualité d’éléments en opposition constitutive du « sacré » selon les sociologues des religions. L’être humain paraît souvent porté vers les cimes, comme par un processus psychique radical qui va de pair avec la connaissance par les gouffres.
Le chapitre quatre commence la discussion sur les relations tripolaires entre Profondeur, Reliance et Gravité, constituant le noyau central d’une philosophie transversale comme art de vivre. La Profondeur ne s’affirme pas, mais se laisse approcher selon une voie apophatique. Ce faisant elle instaure la catégorie du Profond, les « dix mille choses » de la pensée chinoise. L’être humain semble bien constituer le sommet conscient du « Profond » qui se dégage du « superficiel » insignifiant pour assumer le « surfaciel » inéluctable.
Le chapitre cinq s’attache à préciser les deux concepts qui s’articulent logiquement à celui de Profondeur : le Reliance et la Gravité. Au fur et à mesure de la reconnaissance existentielle de la plénitude de la Profondeur par l’être humain, ce dernier se sent de plus en plus relié aux autres, au monde et, en fin de compte, à lui-même. Paradoxalement, en s’approfondissant, il devient plus « grave » mais aussi plus « joyeux » dans un « clair-joyeux » tranquille et souverain.
Le chapitre six décrit les différents chercheurs de sens (de pouvoir, de vérité et d’existence) qui gravitent, de près ou de loin, autour de la profondeur, de la reliance et de la gravité, en fonction des trois besoins de sécurité, de reconnaissance et de dépassement. Une esquisse d’éléments interconnectés permet d’appréhender un profil d’être humain comme être de sécurité, de pulsions, de dépassement et d’étrangeté.
Le chapitre sept entre dans le vif du sujet par une approche de l’improvisation comme catégorie spécifique de l’imagination active de l’être humain. La Profondeur est source de création non instrumentalisable. Elle engendre en permanence l’improvisation éducative. Elle relève d’une dialogique entre l’imaginaire et le symbolique et engendre ainsi, sans cesse, de la réalité dans laquelle les êtres humains réussissent, tant bien que mal, à communiquer. Elle est essentielle en éducation. Elle permet le regard toujours « neuf » sur la réalité de la classe. Elle développe une pensée analogique et l’action pédagogique comme « oeuvre ouverte ». Un exemple, le récit, donne un aperçu de ce que l’improvisation peut produire dans l’enseignement universitaire.
Le chapitre huit nous conduit à reformuler la question « qu’est-ce que la vie ? » à partir du questionnement sur la Profondeur. De nouveau la notion de Profondeur est remise sur le tapis pour en montrer le caractère à la fois ambivalent et transparent, que le sujet s’échine à comprendre dans un va et vient incessant entre les extrêmes. Il passe ainsi par quatre moments : l’homme fermé, l’homme existentiel, l’homme mythopoétique et l’homme noétique.
Le chapitre neuf souligne la transversallité de la compassion au fur et à mesure que l’être humain découvre de mieux en mieux la « zone ? » (zone d’inconnaissance) de la Profondeur. J’appelle « transversalité » toute action matérielle, physique ou symbolique qui traverse et modifie ce qu’elle touche. La compassion surgit spontanément lorsque nous sommes au plus près de notre être intime qui réalise notre reliance avec le vivant. Pour la comprendre il faut distinguer trois niveaux de réalité.
Premier niveau : celui du plaisir/souffrance.
Deuxième niveau : celui de la tranquillité d’esprit.
Troisième niveau : celui de la Joie/peine.
La compassion advient à l’issue d’un voyage intérieur vers une compréhension plus subtile de la Profondeur. On voyage en soi-même en passant par les cinq naissances de l’être humain dans sa nature de Profond qui lui fait découvrir un réenchantement du monde.
Le chapitre dix examine une dimension particulière : l’intuition, en accord par la Reliance. L’intuition prend à bras le corps la question de la temporalité, à partir de la notion d’instant face à la durée. La démarche nous informe sur ce qui nous fonde selon le principe de non-séparabilité constitutif de la Reliance.
Le chapitre onze aborde le choc que constitue l’éveil de l’intelligence lorsque nous rencontrons cette « zone » de la Profondeur, par une démarche largement non rationnelle. C’est la notion de « flash existentiel » qui est décrite dans ce cas, avec ses caractéristiques d’éclairement et d’instantanéité.
Le chapitre douze nomme le « moment de retournement » qui s’ensuit, après un flash existentiel de grande envergure. Il remet en question le sens de la durée et de l’instant, par la reconnaissance du « moment » et de la « situation », de « l’endroit » et du « lieu ».
Le chapitre treize décrit l’importance du « grand rêve » dans une perspective de connaissance de soi. C’est à travers deux expériences personnelles de « grand rêve » que la thématique est abordée et analysée suivant l’approche transversale et l’écoute sensible.
Le chapitre quatorze nous permet de réfléchir, plus spécifiquement, sur le renouveau pédagogique nécessaire pour entrer dans cette nouvelle façon de penser la Profondeur. La pédagogie de Rudolf Steiner est esquissée comme essai d’un mode d’éducation qui n’élude pas la dimension spirituelle et artistique de l’existence humaine. L’éducateur, parcourant deux pédagogies en permanente dialogique, avec les risques de fixation sur l’un ou l’autre termes en opposition (enracinement ou surgissement) doit réussir un dépassement dans une troisième voie : la pédagogie transversale. Cette voie ouvre l’éducation vers la profondeur par le truchement d’une sagesse en devenir comme source sempiternelle de surprise et d’étonnement devant l’existence symboliquement reconquise.
Le chapitre quinze poursuit dans la foulée du chapitre précédent sur la pédagogie transversale. Derrière cette pédagogie, une philosophie transversale structure et anime imperceptiblement une vision du monde par le truchement d’une pensée en éducation. Qu’est-ce que « penser en éducation », en effet, si ce n’est mettre en dialogue, à propos du réel et de son mystère, lire, écrire, parler et méditer, débouchant sur la réflexion et l’action d’un être humain conçu dans toutes ses dimensions existentielles possibles.
Le chapitre seize, Amour, éducation et philosophie : vers un « devenir-sage » tente une ouverture vers une façon moderne d’aller vers la sagesse. Une bibliographie termine l’ouvrage.
Depuis la rédaction de ce livre, nous avons publié un autre ouvrage en février 2015, à trois voix avec François Fourcade et Christian Verrier, intitulé Pour en finir avec le management efficace (Pearson, 2015, 218 pages) dans lequel j’ai contribué à faire passer l’essentiel de ma philosophie de la vie appliquée à l’organisation de la vie en entreprise.