Un rêve pédagogique

2012, par René BARBIER

Dans la nuit du 24 août 2012 je me réveille vers cinq heures du matin, à la suite d’un rêve dont je me souviens parfaitement. C’est un rêve lucide dont je peux décider du devenir au moment même où je rêve. Sans doute est-il lié à mes lectures et questionnements actuels autour de l’empathie, des neurones-miroirs et en fuseaux, que je travaille pour un livre qui fait l’objet de ma recherche. Peut-être est-il influencé par ma longue retraite déjà de plusieurs années et du manque de contact avec ces jeunes gens qui constituaient mes étudiants dans les groupes très impliqués que j’animais autour de la pensée de Krishnamurti pendant plus de vingt-cinq ans.

La “classe” d’une quinzaine d’étudiants, hommes et femmes, est celle que j’avais habituellement. Elle est multiculturelle, avec des personnalités diverses et parfois tranchées, où chacun n’hésite pas à dire ce qu’il pense. J’aime mes étudiants. J’ai toujours eu du plaisir à “enseigner”, à faire découvrir ce que veut dire “apprendre”. Dans mes groupes fondés sur la confiance réciproque, la parole est libre et respectée. J’en suis le garant en tant que professeur et les étudiants le savent bien.

La scène de mon rêve décrit une dérive dans la discussion entre quelques étudiants, plutôt des hommes. Elle porte sur l’avenir professionnel et existentiel. Au départ tout va bien. Chacun s’exprime et dit son espérance avec ses ouvertures et ses craintes. Puis bientôt, à la suite d’un accrochage entre deux étudiants, la parole s’enflamme. Comme souvent je sens que l’agressivité monte, les arguments se font beaucoup moins subtils, les mimiques et la gestuelle plus désagréables. La colère gagne du terrain et contamine petit à petit le reste de la classe. Les sombres perspectives d’avenir professionnel d’aujourd’hui comme d’hier pour les jeunes doivent être pour quelque chose dans ce rêve.

J’interviens alors. Je sors de mes gongs avec une certaine intensité comme il m’est arrivé plusieurs fois durant ma carrière en disant “Stop ! on arrête tout ! qu’est-ce que vous êtes en train de faire ici et maintenant ? Etes-vous dans l’écoute de l’autre et de vous-mêmes, dans la compréhension, ou dans la grande dégradation de la relation humaine si facile et habituelle ?”
Comme ce fut souvent le cas, les étudiants s’arrêtent, abasourdis par la colère que j’exprime (mais dont je suis conscient). D’habitude je reste très calme et je me contente de reformuler ou d’interpréter différemment des propos qui manquent de connaissance. Là ma parole est très directe et soutenue. Elle s’adresse précisément à des interlocuteurs qui ont joué un rôle dans la dérive discursive en commençant à s’invectiver et à interpréter les propos de son vis-à-vis suivant une logique si commune en Occident de dévalorisation et de destructivité systématique.

Je reprends chaque interlocution en détail et je montre la distorsion par rapport à la réalité, la part d’inconnaissable méconnue, le désir de néantisation ou de réification de l’autre, je manque d’empathie et de reconnaissance. Je m’implique moi-même en donnant des exemples tirés d’expériences personnelles. les étudiants ressentent mon émotion et mon désir de médiation. Tout à coup le calme revient dans le groupe. Chacun parle avec plus de douceur et reconnaît sa montée en émotion mal contrôlée, en projections imaginaires. Voici venir le temps de la fin du cours. Je dis “Mais je ne vous ai pas fait écouter ce que j’avais amené pour vous ! Cela ne fait rien, je le présenterai la prochaine fois !”. Les étudiants acquiescent et sortent avec le sourire. Certains me disent merci.
Je me réveille à ce moment.