Méditations évangéliques 3 : Du baptême

2009, par René Barbier

A ma petite fille Lou

La question du baptême dans les Evangiles s’étaye sur trois moments.
Le premier où il est dit « Tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais pas trouvé ». Le deuxième est l’acte par lequel Jésus se soumet à ce qui était écrit dans la Bible et accepte de se faire baptiser par Jean-Baptiste qui, sachant à qui il a affaire, ne s’en trouve pas digne. Le troisième est constitué par les toutes dernières paroles du Christ crucifié avant de rendre son dernier souffle : « Père, en tes mains je remets mon esprit » (Luc, 23, 46).

Il est étonnant que je m’interroge sur le baptême en relisant les Evangiles au moment où ma petite fille de quatre mois, Lou, va être baptisée suivant le désir de ses parents, de son père Philippe, en particulier, dont la foi chrétienne est profonde.

Pourquoi baptiser un nourrisson ? Deviendra-t-il ainsi « esclave de son baptême » comme le pensait Rimbaud ? Tant de gens ont reçu le baptême et se disent catholiques sans aucune influence éthique sur leur attitude et leurs comportements dans la vie quotidienne. 

Si un père décide, comme le veut Philippe, de faire baptiser son enfant, c’est parce qu’il croit au Christ, à Sa vie, à Sa résurrection et à l’annonce de la parousie après l’apocalypse. La foi est un événement imaginaire du point de vue du philosophe. Malgré tout, le philosophe n’est pas sans danger d’imaginaire quoi qu’il fasse. Socrate, ce prince des philosophes se laissait facilement séduire par son « daïmon » et croyait à la conception pythagoricienne de l’âme immortelle différente du corps. Julia Christeva nous demande aujourd’hui de réfléchir à la complexité de ce « besoin de croire » qui caractériserait l’être humain. Cornelius Castoriadis réévalue l’importance fondamentale de l’imaginaire. 

Pour le Chrétien, c’est le saut dans l’inconnu, dans ce que Jacques Lacan nomme le Réel, l’impossible de la symbolisation, malgré tous les rituels d’alliance. Le Réel peut être considéré comme la déité sous le nom de dieu de maître Eckhart. Le croyant chrétien sait que le véritable baptême impose l’abandon du raisonnement et du « moi-je » pour laisser place à une vacuité où « la colombe » blanche comme la neige éternelle et vivante comme la fleur du pommier, pourra descendre dans l’être de la personne « ointe », nom même du « Christ ».

Pour le Chrétien, le Réel est la seule vérité et le synonyme de Dieu. Le baptême apparaît ainsi comme la traversée structurale et bouleversant du Réel dans une forme humaine pour lui donner une âme immortelle. C’est ainsi que je comprends pourquoi on baptise un bébé qui n’a pas encore la faculté de raisonner s’il peut déjà tout sentir. 

Le baptême implique la vacuité de l’être. Certes le bébé est baptisé en fonction du désir de ses parents mais le rituel opère une métamorphose au sein de l’être pour les croyants. Il ne s’agit plus du désir d’un autre, fût-il le père biologique, mais d’une ouverture au Tout-Autre qui siège au coeur du Réel. 

Le bébé peut recevoir inconsciemment cette transformation ontologique justement parce qu’il ne raisonne pas encore, qu’il n’est pas philosophe. Plus tard vraisemblablement il se démarquera de cette opération à son encontre et quittera l’espace mental institué par ses parents. La réalité du monde s’imposera à lui sans toute sa dureté et il fera jaillir sa critique sur tous les dogmes de pureté et d’harmonie a priori. Certains êtres demeureront dans le choix des parents et d’autres quitteront ce chemin pour tenter de trouver leur propre voie. 

Luc Ferry ou André Comte-Sponville abandonnent le christianisme de leur enfance au profit de la philosophie. Michel Onfray, brûlé vif dans sa sensibilité par une institution scolaire déshumanisante sous l’égide de l’Eglise, dès l’âge de dix ans, considéré comme orphelin, va devenir le philosophe « rebelle » d’une autre « philosophie au marteau » qui combattra activement toute velléité de croyance. 

Le baptême des adultes suppose un lent travail intérieur à la fois philosophique et méditatif qui aboutit à rendre les armes de la raison au profit du coeur. Sans doute faut-il alors un coup de pouce du destin, ce que les Chrétiens nomment la Grâce et les bouddhistes l’Eveil. Dans le christianisme comme dans le bouddhisme, l’illumination exclut l’ordre et la pensée rationalisante qui garantit l’imaginaire du « moi-je ». C’est le Réel comme inimaginable et Tout-Autre est rencontré et vient fructifier dans la conscience d’être de la personne. 

Le baptême du croyant adulte est, paradoxalement, un acte porté par le symbole reconnu qui, fait fondre tout symbole en son fond. C’est le symbole, malgré tout, et le symbolique plus généralement, est de l’ordre de la communication et de la rencontre avec l’autre. La baptême scelle la rencontre avec tous ceux qui croient et qui appartiennent à l’Eglise comme Ecclésia. 

Le baptême ne parle pas au philosophe mais confirme et ouvre un univers de sens pour le croyant adulte. Le bébé baptisé, lui reçoit. Il est supposé lâcher avant l’heure le « que Ta volonté soit faite » christique qui s’anime dans la conscience désirante de ses parents. Le bébé de quelques mois est encore dans la fusion avec la mère. Il est l’infans, le sans paroel, c’est-à-dire dans un espace de communication où le désir existe comme l’affectivité, mais où la raison constituée et ordonnée par le défilé des signifiants n’existe pas encore.

C’est la parole juste de Jéjus appelant à lui les petits enfants dont l’innocence vraie est celle de la non-raison qui n’est cependant pas l folie. Le Christ guérit les « démoniaques », les fous, pour rétablir chez eux l’ordre de la communication et de la vie avec les autres hommes. Le regard si intense du bébé qui se fixe sur sa mère est l’expression la plus vive de cette communication sans parole avec le vivant et de cette union qui dépasse toute frontière.

Le sens du baptême passe avant tout par ce regard partagé et par le visage aimant entre la mère et son enfant. Il fonde le désir de vivre au-delà de la mort même. Le regard de la mère aimante ou de tout être qui sait donner son amour est la source d’un baptême ininterrompu qui donnera sens à tout vivant rencontré à chaque instant de l’existence, jusqu’à la mort de la perosnne qui a pu en bénéficier dans son premier âge. Les Chrétiens diront « jusqu’à la fin des temps ».