Le Sensuel, le Sensible et l’Intelligible

par René Barbier (2011)

Le Sensuel et l’imaginaire

La dimension du Sensuel relève de l’action des pulsions et de ses rejetons imaginaires. Trois pulsions fondamentales : Eros, Thanatos et Polemos.

Eros : ce qui radicalement vise la rencontre avec une autre structure en vue d’une structure plus complexe, sans jamais être achevé. Porté par un élan vital, une volonté de réaliser sa puissance d’agir, son conatus.

Thanatos : ce qui tout aussi radicalement vise à la réduction d’une structure complexe à une autre plus élémentaire, au détriment même de sa propre existence.

Polémos : ce qui relève de l’agressivité  dans la mise en oeuvre du mouvement vital. Allié à Eros il s’agit de la création. Allié à Thanatos, c’est la destructivité.

Le Sensible et la participation

La dimension du Sensible relève de la nature même du Vivant. Chez les grands mammifères et surtout chez l’être humain, le Sensible prend la forme de l’altruisme, de l’empathie, de la sympathie, de l’amour et de la compassion et renvoie à la notion d’Agapè. Le Sensible se donne à voir sous la forme du mystique et porte à la réalisation la capacité de participer à ce qui est plus vaste que l’être singulier dans une totalité qui semble toujours un « être-là » en mouvement et engendrant sans cesse de l’Advenir et de l’émergence.

L’Intelligible et le symbolique

La dimension de l’Intelligible  implique un désir de comprendre et de communiquer sur ce qui fait qu’il y a quelque chose plutôt que rien. De ce fait elle interroge le Réel-Monde et constate d’une façon sempiternelle l’inadéquation de sa compréhension avec la nature même de ce Réel qui demeure « voilé » en dernière instance. L’Intelligible, productrice de concepts et d’images chez l’être parlant, relève d’une tâche impossible et pourtant irrémédiable. Elle engendre la catégorie du tragique. Le besoin de communiquer et de faire comprendre dans l’Intelligible est fécondé par la philia, un sentiment de reliance qui n’est pas sans référence au Sensible.

Le Réel ou l’être-là et l’Advenir

Le  Réel est ce qui est et advient sans cesse, dans un processus qui semble aller vers une complexité croissante. Il n’a ni commencement, ni fin et peut prendre toutes les formes y compris les plus inimaginables. Il est doté de toutes les possibilités pour le meilleur et pour le pire. Il se déploie dans l’espace-temps tel que nous sommes contraints de l’imaginer, sans pouvoir, pour autant, jamais le concevoir comme achevé et circonscrit. Il fait partie de nous-mêmes comme de tout ce qui apparaît, perdure et finit au terme de son évolution.

L’imaginaire et le symbolique ou la boucle rétroactive sempiternelle

Ce qui caractérise l’être humain comme système vivant complexe c’est la production de symbolique à partir de l’imaginaire, mais également de l’imaginaire engendré par le symbolique. L’être humain comme être philosophique questionne en permanence ce va et vient de la pensée en produisant, en même temps, un champ symbolique doté de potentialités imaginaires. Ce questionnement résulte d’une sorte de « trou » dans la pensée que réalise l’irruption du Réel dans un fait imprévu. La pensée doit alors se remettre en marche pour tenter de comprendre ce qui vient d’advenir. Cette remise en question bouscule sans cesse l’état des connaissances et engendre de nouveaux paradigmes dans une fuite sans fin. La post-modernité admet aujourd’hui que le va et vient de la pensée entre imaginaire et symbolique est irrécusable, contrairement aux époques anciennes où l’on croyait avoir enfin trouvé une référence absolue pour comprendre le monde (Dieu, La Science, L’Histoire, l’Homme, le Progrès etc.). Le résultat de ce processus en boucle imaginaire-symbolique se nomme « réalité » toujours éminemment subjective bien qu’elle tente de s’imposer au plus grand nombre en fonction de l’époque et de la société considérées. Dans le pire des cas c’est le chimérique qui remplace tout le symbolique lorsque la société devient vraiment « malade ».