2004, par René Barbier
(Extrait des actes du colloque : Etre, créer, connaître. Quels chemins pour une éducation aujourd’hui ?, 18 septembre 2004, Paris, éd. Fédértion des Ecoles Steiner-Waldirf en France)
Bien, alors je suis un petit peu gêné de prendre la parole après l’exposé de Christiane Singer parce qu’elle est partie dans un discours métaphorique très important, très intéressant. J’hésite maintenant entre reprendre mon texte que j’avais préparé ou me laisser aller à l’improvisation, d’autant plus que l’on a pu entendre tout à l’heure un texte lu par Isabelle Ablard-Dupin à propos d’une petite fille qui disait à son père ! : « Les vacances, l’école, tout ça c’est très bien, mais moi ce que je voudrais, c’est vivre ! » Or ce texte est vraiment quelque chose qui m’a fait beaucoup réfléchir, alors je me suis dit que je pouvais rebondir là-dessus en laissant tomber mon texte prévu. Ce qui est soulevé ici me paraît plus important. En fin de compte, oui, je crois que c’est ce que je vais faire.
Donc je viens d’entendre cette petite phrase et juste après j’ai entendu Christiane Singer. Je partage en grande partie ce qu’elle dit, je me sens proche de ce qu’elle dit. En même temps, je garde un peu de prudence, notamment par rapport à la question de la tradition et sur le fait de devoir se frotter longtemps aux textes avant d’en arriver à ce point où l’on en reçoit l’esprit, et où l’on découvre en eux une petite musique… Je crois que cela est vrai, en même temps, c’est un peu dangereux. Pour vous faire comprendre ce que je vais dire, je crois qu’il me faut revenir un peu sur ma trajectoire intellectuelle et de prof de fac.
Ma trajectoire intellectuelle
J’ai commencé par faire du droit. Puis, tout de suite j’ai fait des sciences sociales et de la sociologie. J’ai côtoyé ces matières alors que j’étais un poète au départ. Je suis arrivé dans quelque chose qui était de l’ordre d’une entrée dans la rigueur. Le droit, c’est vraiment la rigueur par excellence, puis à travers les sciences sociales et la sociologie en particulier (surtout avec l’équipe de sociologues avec laquelle j’ai travaillé, celle de P. Bourdieu et J. C. Passeron) j’ai vraiment eu affaire à une sociologie très scientifique : la sociologie et le scientifique. C’était assez difficile en un sens de poser des questions à cette scientificité supposée de la sociologie. J’y suis entré comme un jeune étudiant, comme un jeune assistant et parce que l’éducation m’intéressait, j’ai commencé à me former aux sciences de l’éducation, à la philosophie de l’éducation et à l’éducation tout court. Là, au fur et à mesure que j’entrais dans l’éducation, quelque chose s’est transformé, c’est la notion de regard critique sur la supposée scientificité des sciences humaines. Plus j’allais, plus j’avais de questions sur la scientificité, plus j’avais du mal à rester en sociologue drapé dans sa scientificité. J’ai donc dérivé, tout naturellement je dirais, sur les sciences de l’éducation, et dans les sciences de l’éducation, j’ai pris avant tout le mot éducation par rapport au mot science. C’est en entrant dans ce processus de ce qu’est l’éducation que vraiment quelque chose s’est transformé. Alors je dois dire que j’ai été aidé par un certain nombre d’auteurs, un certain nombre de rencontres que j’ai pu faire (que ce soit avec des philosophes, que ce soit avec des écrivains, ou encore avec des mystiques).
Peu à peu, quelque chose a été préparé pour écouter autrement le monde. Un philosophe notamment m’a beaucoup marqué (philosophe… je ne sais pas si c’est le mot qui convient pour lui), c’est Krishnamurti. Je l’ai rencontré, j’avais 25 ans et, depuis 40 ans, je médite avec lui, je réfléchis avec lui sur ce qu’est, dans le fond, vivre. Vivre, justement, la petite question… la petite grande question de cette petite fille. Cela a vraiment été une expérience assez forte pour moi, de sorte que j’ai éprouvé le besoin en tant qu’universitaire, de faire un cours (je crois d’ailleurs que c’est le seul qui existe à l’heure actuelle dans l’establishment universitaire français) sur Krishnamurti. Cela fait plus de quinze ans que je mène, que j’anime un cours (parce que je ne fais pas de conférence) sur sa vision du monde. C’est en fin de compte de toute cette expérience que j’ai eue avec les étudiants, que je continue à avoir avec eux, une expérience très riche, que j’ai envie de vous parler aujourd’hui.
Il y a donc eu toute cette évolution préparatoire en regard de quelque chose qui, à un certain moment, s’est découvert.
Etre éducateur
Cela me paraît très important de voir cela parce qu’en tant qu’éducateur, quand on me pose la question : « qui vous êtes, vous ? » eh bien (sauf si je suis dans un milieu assez académique où je dirai tout simplement être professeur de sciences de l’éducation), je réponds que je suis un éducateur. Pour moi cela veut dire quelque chose d’être un éducateur. Cela veut dire, dans un premier temps, être passé par ce processus de préparation dont j’ai parlé, avec des auteurs, avec de l’altération provoquée par autrui, avec des modifications intérieures, quelque chose qui fait que (et là je suis tout à fait d’accord avec Christiane Singer) on s’ouvre, on va vers une amplitude plus grande. Peu à peu on découvre qu’on est une personne. Qu’est-ce que c’est qu’une personne ? C’est un individu intégré au processus même du cours du monde, chez qui il n’y a plus « personne » à nommer. Et cette découverte que l’on fait à un certain moment, va transformer totalement le regard que l’on porte sur le monde.
Et la question va se poser dans le for intérieur de tout enseignant de savoir : qu’est-ce qu’il enseigne ? Qu’est-ce que je peux enseigner ? Qu’est-ce que cela veut dire enseigner par rapport à ce processus de l’éducation ? Tout s’est complètement modifié pour moi à partir de là, car des cours de sociologie que je donnais, je suis passé à des cours que l’on appellerait plutôt de philosophie (bien que ce ne soit peut-être pas encore le terme qui convienne dans la mesure où un philosophe travaille quand même sur des textes, décortique les textes, etc. et que je ne fasse pas tout à fait la même chose). Ce qui m’intéresse, c’est plutôt la notion de faire surgir le questionnement, le questionnement permanent chez les étudiants (puisque je travaille avant tout avec des étudiants) sur : qu’est-ce que vivre ? D’où la question de la petite fille… et celle encore d’une autre petite fille, la mienne quand elle avait 4 ans : un jour, alors que nous étions au bord de la mer, en Bretagne, elle regardait cette mer se retirer très loin, laissant apparaître peu à peu des rochers et le sable, puis elle me dit : « Regarde papa, il n’y a plus d’eau dans la mer ! » Et ce « il n’y a plus d’eau dans la mer » est quelque chose qui est resté chez moi comme une sorte de pensée permanente, laquelle n’arrête pas de susciter mon interrogation, un « kôan zen », en quelque sorte. Effectivement, il n’y a plus d’eau dans la mer, mais la mer est pourtant toujours là. Cependant, quelque chose a disparu… et tant que l’on n’a pas compris ce « il n’y a plus d’eau dans la mer », comment peut-on éduquer ? Car on pense souvent qu’éduquer, c’est justement remplir la mer avec encore de la mer. Non. Éduquer, c’est effectivement connaître que la mer est présente en nous, à l’intérieur de nous, que nous sommes la mer, et qu’en même temps, il n’y a d’une certaine façon rien dans cette mer… il n’y a donc rien non plus en nous-mêmes. Ce rien est quelque chose d’autre, une “autreté” comme dirait Krishnamurti. C’est pour cela que je fais une différence entre deux types de sacré.
Le sacré institué
N’ayant pas de formation religieuse, n’appartenant à aucune religion particulière, mais étant très respectueux de toutes les religions à partir du moment où, naturellement, on ne tombe pas dans le fanatisme… ayant également une formation sociologique (ce qui donne un esprit critique très aigu, très aiguisé), j’ai beaucoup de prudence à l’égard des traditions religieuses, des institutions religieuses, de ce que j’appelle le sacré institué, c’est-à-dire tout ce qui organise le sacré, avec notamment ces fonctionnaires du sacré dont a parlé un certain nombre de penseurs ; les liturgies, les rituels, etc. Aussi, je n’ai jamais pu rentrer dans ces formes d’institutions et encore moins dans toutes formes de “gourouisation” telles qu’elles se sont développées, notamment à partir des années 1970. Mais en même temps, je peux reconnaître qu’au sein de ce sacré institué, surgit parfois quelque chose qui nous rappelle un autre niveau de réalité. C’est tout à fait surprenant, car on est plutôt habitué à une sorte de ritournelle qui ne nous parle pas beaucoup, à moins que nous soyons très intéressés par l’habitude. Et puis, surgit de façon imprévue une parole de la part de quelqu’un, une parole qui nous surprend par le fait qu’elle vient d’autre part, d’un autre lieu que celui du sacré institué, bien qu’elle s’inscrive elle-même malgré tout à travers des rituels. C’est pourquoi je ne peux pas être complètement quelqu’un qui balafre toute dimension religieuse. Cependant, pour moi, cela fait quand même partie du sacré institué, et le sacré institué est quelque chose qui réduit. Il est réducteur de quelque chose d’autre que j’appelle : le sacré radical.
Le sacré radical
Le sacré radical qui est vraiment une dimension que l’on reconnaît en soi comme étant éminemment une expérience personnelle en ce sens où ce n’est pas donné par quelqu’un d’autre, par une figure charismatique, ce n’est pas une croyance, ce n’est même pas une foi. C’est quelque chose qui surgit comme une expérience personnelle dans l’épreuve de réalité c’est-à-dire, l’épreuve du monde – et pas simplement à travers la souffrance, mais à travers toute épreuve de vérité : c’est la solitude, mais c’est aussi la beauté qui nous saisit et nous pose des questions, c’est l’interpellation de l’autre comme cette interpellation de ma fille qui reste chez moi comme une sorte de vitamine à la réflexion. A partir de là, quelque chose nous appelle et ce qui nous appelle c’est justement ce que je nomme le sacré radical, celui qui va à la racine et nous fait entrer (si on a la chance de s’ouvrir et surtout d’être réceptif à cette ouverture), dans une compréhension du monde où peut naître ce sentiment de faire partie d’une totalité dynamique, appelons la “conscience-énergie” bien que cela reste très difficile à préciser parce que c’est de l’ordre d’un ressenti profond qui fait que la question du sens de la vie ne se pose plus. Du même coup, en un certain sens, la question de la spiritualité, elle non plus, ne se pose plus. On ne pose plus la question de la spiritualité ou du sens de la vie parce que c’est la vie qui importe, ce n’est pas la question du sens.
La vie est sens
La vie est le sens. Nous sommes la vie – quand nous sommes la vie, la question du sens ne se pose plus. Et je crois que c’est vraiment une interrogation radicale que cette source permanente que l’on a au fond de soi-même, que tout être humain, tout être vivant a au fond de lui et qui va alimenter nos réflexions et nos pratiques, notre façon d’être au monde, notre façon d’être avec les autres, et ici, tout à fait dans le sens qu’a précisé Christiane Singer, c’est-à-dire au sens d’une ampleur de plus en plus grande. Une ouverture s’opère vers quelque chose qui est sans limite, qui ouvre notre être à chaque instant. Mais l’ouverture se fait par des questionnements, elle ne se fait pas par des affirmations. Et les affirmations qui se trouvent dans les livres (et Dieu sait si je suis quelqu’un qui lit beaucoup et qui aime lire), je sais très bien que ce n’est pas là l’essentiel.
L’essentiel c’est plutôt la question que je n’arrête pas de poser sur le monde avec un fondement qui n’est pas de me demander : mais, quel est le sens de la vie ? Je sais que la vie a un sens, je n’ai pas besoin de me poser la question. Pour moi c’est évident que la vie a un sens, que la vie est sens. Et par ce fondement-là, précisément, des questions sont posées sur la façon dont on vit. Justement : comment vit-on ? C’est cela la question. Mais peut-on poser la question du sens de la vie comme je viens de l’entendre si, au fond de soi-même, on n’a pas découvert que la vie est sens ? Si l’on reste dans une sorte d’attitude dubitative pour soi-même, il est très difficile de véritablement poser la question du sens de notre façon de vivre, parce qu’il y a toujours comme un trucage à ce moment-là.
La transmission
Malgré tout, pour un éducateur, on se pose la question de la transmission : comment peut-on transmettre le fait que la vie est sens ? On ne peut le transmettre qu’à partir du moment où l’on sent pour soi-même ce sens de la vie, mais cela ne suffit pas. La question est : comment transmettre cela ? À cet endroit, on se trouve devant une inconnue. Personnellement j’ai tendance à penser que lorsqu’on dit « la vie a un sens », c’est que l’on a déjà reconnu (en tant que l’on est un processus énergétique faisant partie de l’énergie fondamentale de l’univers), c’est qu’au fond de soi-même on a déjà reconnu une intelligence du monde. À ce moment-là on reconnaît aussi ce que le docteur Deepak Chopra (endocrinologue américain d’origine de l’Inde, et spécialiste médecine Ayur Védique) appelle : le corps quantique, et l’on sent que cette dimension est présente en effet, non seulement en nous-même, mais en tout un chacun, dans tout ce qui vit. Je dirais alors que la transmission va commencer avant même la parole, avant même les livres, avant même les exercices. Elle va commencer dans le silence, lorsque deux êtres, le formé et le formateur, se rencontrent. Ils se rencontrent, et dans l’échange des regards, dans le silence échangé avant même que chacun ne commence à prendre la parole et du même coup d’une certaine façon, travestisse ce qu’il est, alors, quelque chose se joue entre deux êtres qui, à mon avis, est justement au niveau du corps quantique. Il s’agit peut-être d’une interférence de vibration, je ne sais pas comment dire, mais je poserais bien la question à ce niveau-là en disant que toute véritable transmission commence par deux êtres qui possèdent, en fin de compte au fond d’eux-mêmes, cette intelligence du monde – qu’ils en soient conscients ou non conscients. Et c’est par l’intermédiaire de cette intelligence du monde qui les parcourt, qu’ils peuvent commencer à se rencontrer, à se compléter. Je dis bien se compléter, car il ne s’agit pas pour le maître de déverser quelque chose, ou d’avoir le savoir au détriment peut-être de son élève. Non. Il s’agit d’un jeu de questions et de questionnements, de paroles. Comment, en effet, quand on est bardé de savoir peut-on accepter de laisser son savoir de l’autre côté, non pas en disant « je n’ai plus de savoir », mais en disant que l’éducation est au-delà du savoir.
L’éducation commence dans cette zone de silence entre deux êtres qui partagent l’intelligence du monde. A partir de là, on peut avancer ensemble, parce que l’on reconnaît que l’autre est aussi source de questionnements pour soi-même et réciproquement. Et c’est à partir de cette source de questionnements que l’on peut avancer. D’un point de vue opératoire, si j’ose dire, cela consiste à mettre en place des dispositifs pédagogiques qui vont permettre un dialogue, une dialogique entre un univers des savoirs pluriels – des savoirs pluriels qui ont leurs richesses, leurs méthodes, mais qui restent malgré tout dans l’univers du savoir avec des choses relativement établies, des frontières – et un univers de connaissance de soi qui lui est de l’ordre de l’expérience et non de quelque chose que l’on va chercher à l’extérieur. Il s’agit d’une expérience éminemment personnelle, tenant compte de l’histoire de vie de chacun, à nulle autre pareille d’une certaine façon ; une expérience qui toujours reste en contact avec la réalité, qui vous questionne et vient également questionner l’autre dimension de la dialogique.
Savoirs pluriels et connaissance de soi
J’interroge les savoirs pluriels par l’intermédiaire de la connaissance personnelle de l’expérience que j’ai pu avoir dans mon contact avec le monde, je les interroge dans cette amplification de la dimension universelle que j’ai au fond de moi-même, qui n’arrête pas de poser des questions parce qu’elle existe dans une relation d’imprévu qui n’est jamais fermée. Se trouve par là interrogée toute forme de savoir en ce que toute forme de savoirs est dotée de fermeture, toute discipline est dotée de fermeture (c’est le cas en sciences humaines par exemple). Si j’ai cette connaissance de soi, alors j’interroge, j’interpelle ce qui fait fermeture dans les sciences humaines. Mais réciproquement, cet univers des savoirs doté de rigueur, doté de preuves à un certain niveau de la réalité, interpelle aussi la connaissance de soi. Il est évident, par exemple, que lorsqu’on entre dans la connaissance de soi, la psychanalyse vous interpelle au niveau de ce que vous projetez, au niveau de votre univers, de l’endroit d’où provient le phantasme, etc. Au sein de sa propre rationalisation cette science vous interpelle, car à partir de cette position épistémologique, il y a en effet, de vraies questions posées. Et l’on pourrait tout aussi bien prendre l’histoire, l’économie, la sociologie, etc. Toutes ces sciences interpellent la connaissance de soi et vous empêchent peut-être d’avoir un ego démesuré et, par là-même, empêchent que vous deveniez un bourreau et un « gourou ».
Merci pour votre attention.
Position lors des débats
L’école va mal, oui, mais elle va bien également. Je connais des gens qui sont très heureux à l’école, et pas seulement dans les écoles privées. Je connais même des gens qui étaient malheureux dans les écoles privées et sont très heureux dans les écoles publiques, y compris dans les Z.E.P, y compris dans les banlieues difficiles. Mais la question n’est pas là. La question autour de cette table est de se demander ce que l’on entend par spiritualité. L’enseignant doit-il être un spirituel ? Je ne dis pas un « religieux » mais un spirituel. Ce qui revient à demander : qu’est-ce donc que cette dimension spirituelle de l’existence humaine ? Dans les propos que j’ai tenus ce matin, je disais qu’il s’agissait de répondre à la question : qu’est-ce que vivre et qu’est-ce que la vie ? Là, on aborde d’emblée la question de savoir qu’est-ce qu’un être spirituel ? Un être spirituel n’est pas quelqu’un qui appartient à telle ou telle religion. C’est quelqu’un qui entre de plain-pied dans la vie et qui, au cœur même de la vie, découvre la joie d’être au monde ‑ et ceci en dépit de toute croyance. Cela ne veut pas dire qu’une croyance ne peut pas le conduire à cela, mais il n’a pas besoin de croyance pour pouvoir être au cœur de la joie et de la vie ‑ quelle que soit par ailleurs l’issue de la vie. Le problème n’est pas tant de se demander ce qui va se passer après la vie que de se demander comment être en vie, sans idéologie, sans croyance, sans Dieu. Comment être en vie simplement parce que pénètre tellement la vie que l’on ressent à quel point tout être sensible est relié, est en interdépendance, est dans un flux permanent d’énergie‑conscience.
Pour moi, l’esprit religieux, contrairement à la dimension spirituelle de l’existence, c’est l’esprit qui intègre des institutions religieuses, y compris les succédanés qui ne s’appellent plus religions mais qui sont aussi des religions, je pense aux idéologies scientifiques et aux idéologies politiques qui fonctionnent avec les mêmes variables que l’institution religieuse. La dimension spirituelle est une dimension personnelle qui nous fait entrer dans un rapport au monde au sein duquel nous nous sentons comme un élément inséparable de l’ensemble dynamique qui nous constitue et qui, pour moi, est également une intelligence radicale, fondamentale qui organise tout ce qui est. Forcément, on aura ensuite une pratique d’enseignant qui sera en résonance avec cela. Je me suis toujours demandé comment on pouvait avoir une pratique de chercheur menant une recherche selon la logique habituelle de la scientificité expérimentale où le chercheur est séparé de son objet de recherche, et en même temps être dans une croyance religieuse où il y a unité. Des gens parviennent à faire de la recherche en étant dans une expérimentation, ils arrivent à faire une épistémologie de la séparabilité sur les différents champs du réel tout en ayant par ailleurs une conscience religieuse supposant une certaine unité. J’ignore comment ils font. Personnellement, ma réflexion en tant que chercheur en sciences humaines a été complètement absorbée, tiraillée, travaillée, remodifiée par la conscience spirituelle. Je ne peux plus faire un travail en sciences de l’éducation aujourd’hui comme je pouvais encore le faire alors que j’étais un jeune chercheur et que je croyais à la science expérimentale. Je n’avais alors pas la même conscience de la non-séparabilité des éléments du réel, c’est-à-dire une conscience de la non-dualité. C’est déterminant !
Je disais ce matin que la question du sens de la vie n’était pas le problème. Lorsqu’on pose la question, on n’est pas dans la vie ! Et quand on est dans la vie, il n’y a plus de question. La vie fait sens, point à la ligne. Les choses ne peuvent en aller autrement. On est dans la vie, on est la vie, et forcément la vie fait sens. On peut en revanche renvoyer la question en demandant aux autres pourquoi la vie ne fait pas sens pour eux. On peut alors aborder les questions du travail, de l’amour, de la souffrance, de la maladie, de la mort. Mais soi-même, on ne se pose pas la question du sens de la vie. Si l’on est la vie, le sens est là, ipso facto, il fait partie de la vie. Je peux comprendre ce que disait mon collègue. Ce serait une interprétation que l’on a par la parole, par le discours que l’on tient, par la pensée que l’on met sur le monde, qui nous ferait croire à un sens. Et c’est vrai, d’une certaine façon. On peut même être un idéologue qui, avec force d’arguments et un bon charisme, va entraîner les autres dans son sens. Oui, à ce moment-là, il y a alors bien une réflexion sur le sens de la vie. Mais ma position consiste à penser que lorsque l’on se pose pour soi-même la question du sens de la vie, c’est que l’on est à côté de la vie. C’est une question spirituelle. Cela n’empêche pas néanmoins que nous nous posions la question du sens de la vie par rapport à la vie.