Par René Barbier
Ton visage est ce jardin fleuri
derrière le long mur des années
Chaque ride confond le vent
Chaque regard trouble la mer
Nous avançons malgré la mort
sans perdre la trace de la lumière
Nous nous baignons dans la mémoire
d’une enfance désajustée
Nous sommes au monde
Nous sommes debout
dans le grand rire des charniers
Un soir
J’ai dormi parmi les figures aériennes
Tout semblait revenir du fond d’un feuillage
J’étais sans âge mais si vivant
Je n’avais pas besoin de soleil ou de nuit
Tout était si transparent
Il était si tard
J’avançais vers un feu que personne ne voyait
Je découvrais des paysages ébouriffés
Des rocs plus féroces
que les hommes mariés à leur mort minuscule
J’apercevais à chaque instant
Des fleuves aux sources perdues
Des enfants sans voix et sans regard
J’ai laissé ma peur à l’intérieur de leurs yeux
J’ai connu la surprise
dans la musique qui monte de la neige
La Montagne était là
sortie de son cocon
Sur un doigt
Elle emplissait l’univers
Personne ne peut comprendre
d’où vient la mer agenouillée
quand elle se donne au vent
quand elle vient boire dans le sable
Nul ne rencontre son sourire
s’il n’est déjà loin de ses broderies
La Montagne est sans élan
Elle est sans quille et pourtant elle nous entraîne
Elle est sans bruit
mais son silence est un livre d’heures
Aucune grille sur la Montagne
Elle est sans limite la Danseuse
dans l’espace qui fuit et dans le temps qui gonfle
Ton visage s’habille de silence
Soierie bleutée soulevée par la brise
Mes mains sont des oiseaux qui cherchent leur nid
Ton visage est en friche dans l’attente d’une surprise
Retrouverons-nous le sens de l’avenir
en laissant faire
le visage
le vent
et la main
Le silence d’huile douce
coule sur notre destin
Il fait nuit
Nous sommes au loin
Le désir est comme un chien fou. Il ne reste jamais en place. Il faut le surveiller, mais inutile de lui mettre un collier. Il arrache tout. On reconnaît le désir quand il déchire les structures. Nous nous croyions en sécurité, mais il était là, avec ses hordes bouleversantes.
Pourtant nous avions si bien caché nos failles dans la petite maison d’en face. Nous avions arrangé nos allées. Nous nous savions en paix avec l’univers.
Il est entré comme si de rien n’était.
Il a incendié tous nos rivages.
Nous nous sommes retrouvés dans le blé de l’enfance.
Il nous regardait dériver vers nos terres tremblantes.
Il attisait le vent du large.
Dans la tempête nous fûmes la nuit la plus écarlate.
Comme d’habitude, il se retira d’un seul coup.
Dans le miroir impossible de voir notre visage.
Nous étions seuls avec notre passé.
Nous nous sommes endormis.
Nous avons oublié.