2009, par René Barbier
Le récit des quatre évangiles se déroule selon une structure close déterminée et déterminante depuis toujours. Aucune liberté dans cette histoire mystique. Tout est prévu d’avance depuis la prophétie biblique. Les personnages sont emportés dans le tourbillon des faits comme de la limaille de fer aimantée dont la configuration n’a aucun jeu possible.
Le Christ lui-même n’a aucune possibilité de déjouer la structuration annoncée de son sacrifice. Certes, à un moment de fragilité proprement humaine et en fonction de sa clairvoyance qui lui donne à voir d’emblée la fin tragique de son histoire, il esquisse une demande d’écart. Devra-t-il boire jusqu’à la lie le calice de souffrance étouffante qui l’emportera ? Nulle réponse. De même, à l’ultime instant sur la croix, son cri vers un éventuel abandon de Dieu. Aucun écho mais le voile du temple se déchire.
Le Christ devait être sacrifié et tous les acteurs autour de Lui étaient là pour accomplir cet événement. Il devait mourir pour sa résurrection et son élévation qui seront celles des Chrétiens.
Chacun est pris au piège de la violence structurale du code évangélique. Pierre, malgré sa promesse, renie trois fois le Christ, comme on le lui avait prédit. Judas donnera le baiser du traître. Il le savait d’avance comme Jésus. Il ira se tuer après son forfait car les 30 derniers ne sont pas du tout l’enjeu de sa trahison. Les Gnostiques proposent une autre version de l’histoire de Judas à travers l’évangile qui porte son nom.
Contrairement aux autres apôtres, Judas est le seul à posséder la connaissance ésotérique supérieure issue du règne des éons et de la divinité du Christ. « Mon royaume n’est pas de ce monde » signifie que le monde d’ici-bas où se joue le jeu de la vie et de la mort, est celui créé par un sous-dieu. Un monde illusoire et sans valeur. Les Grands Connaisseurs que sont Jésus et Judas font partie de la vraie divinité. Judas est l’apôtre qui va délivrer le Christ de son enveloppe charnelle afin qu’il puisse regagner son vrai lieu. Jésus a reconnu en Judas un véritable initié qui doit faire ce qu’il a à faire sans pouvoir déroger en rien à ce qui est prévu. Judas ne supportera pas tout le poids de la structure sur ses épaules. Son suicide est peut-être le seul acte libre du récit évangélique.
Toutes les autres personnes sont des complices, des pions sur un échiquier où les jeux sont déjà faits. Il s’agit bien d’un fatum inexorable mais dont la fin est aussi la reconnaissance, après l’apocalypse, de l’avènement de la parousie de tous les baptisés qui seront sauvés par le sacrifice du Christ.
La structure rigide des évangiles confirme la nature sotériologique du christianisme qui tranche d’une manière radicale sur les précédentes doctrines du salut. Il ne s’agit plus de penser en termes de cosmos harmonieux et de Logos le représentant comme chez les Grecs stoïciens mais en termes d’incarnation du Verbe qui inaugure un acte de foi au-delà de toute raison et implique une construction imaginaire à nulle autre pareille. C’est à un saut qualitatif dans l’inconnu qu’instaure la pensée évangélique.