Par René Barbier
Chère madame Marie de Hennezel, Il y a plusieurs années, je vous avais écrit pour vous dire qu’une de vos patientes en fin de vie, Danièle, dans votre livre ” La mort intime”, ressemblait fort à une amie que j’avais perdu de vue et avec qui j’avais beaucoup parlé de Krishnamurti. Il s’agissait de Danièle Legros. Vous m’aviez confirmé alors qu’il s’agissait bien de cette personne qui avait impressionné François Mitterand, par sa sérénité, en visite dans ce service de soins palliatifs qu’il avait contribué à fonder. Nous nous sommes revus rapidement un jour où nous participions ensemble à un symposium consacré à la spiritualité laïque à Font-Romeu. J’ai beaucoup apprécié également l’œuvre philosophique à l’écriture poétique d’un écrivain que vous connaissez bien, Bertrand Vergely, sur l’émerveillement. Je viens de lire votre dernier livre sur l’expérience spirituelle de cet agnostique que fut François Mitterand [1] J’ai apprécié que vous ne l’ayez pas publié à sa mort. C’est une preuve de votre lucidité sur la société du spectacle. J’avoue qu’il m’a réconcilié avec la figure d’un homme politique qui avait suscité beaucoup d’espoirs déçus depuis les années 80. Vous nous avez fait comprendre dans votre ouvrage une dimension essentielle de la complexité humaine de ce Président de la République. Pourquoi faut-il que les hommes de pouvoir soient à ce point clivés dans leur être profond et dans leur sensibilité ? Qu’est-ce que l’exercice du pouvoir tue de si humain en nous-mêmes ? Aujourd’hui les jeunes gens se retrouvent dans des positions extrêmes. Ils ne croient plus en la politique des hommes de pouvoir et désertent la citoyenneté, rencontrant souvent alors le néant et la dérision. D’autres se jettent dans le terrorisme aveugle et croient entrer dans une spiritualité qui n’est que superstition meurtrière. D’autres encore prennent à bras le corps le désir de pouvoir de la société mercantile et entrent dans l’ère du “Divin Marché” comme l’écrit un de mes amis Dany-Robert Dufour. Mais on assiste de plus en plus et de mieux en mieux à l’émergence d’un mouvement de jeunes gens qui prennent une distance critique et constructive a l’égard de ces enjeux. Ils militent du côté de l’écologie, d’une autre forme de vivre ensemble, des spiritualités laïques, des ouvertures vers des sagesses de l’Orient. Il représentent une bonne partie de ce qu’un sociologue des religions, Jean-François Barbier-Bouvet nomme les “nouveaux aventuriers de la spiritualité”. Gageons que tout n’est pas perdu à les voir tenter de construire un autre monde dans celui-là. Il faudra qu’ils soient lucides, déterminés et persévérants pour faire bouger les structures sociales et politiques après avoir changé leur regard personnel sur le monde. En tant que pédagogue animé depuis toujours par la vie et ses éblouissements, je veux croire en notre jeunesse clairvoyante.
[1] Marie de Hennezel, Croire aux forces de l’esprit, récit, Fayard, 2016, 211 p.