par René Barbier (2005)
Comme en écho à des événements actuels de plus en plus fréquents en 2024 dans nos villes et banlieues, ce texte des années 2005 de René Barbier, qui vaut encore aujourd’hui pour son analyse de la situation sociale et politique de l’époque.
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Le gouvernement de droite qui a, par son action passée, diminué les crédits accordés aux services sociaux de prévention dans les quartiers et supprimé la police de proximité, réanime une vieille loi de 1955 – l’état d’urgence, le couvre-feu – qui n’a pas été employée en métropole depuis la Guerre d’Algérie.
La casse du service public dans ces quartiers, l’extinction des aides-éducateurs, la cécité sur les moyens d’embauche des jeunes défavorisés, portent ses fruits empoisonnés : le feu aux voitures, symboles d’une consommation impossible, le feu dans les écoles maternelles, symboles d’une prime-éducation qui, dans son devenir, ne permet aucune intégration et stigmatise les exclus. Les personnes des quartiers, tout en désirant réellement et légitimement la fin des exactions, ne sont pas du tout satisfaites par ce type de mesure. « Nous ne sommes pas en guerre, quand même ! » disent-elles.
Certains, même un élu « socialiste », exigent l’arrivée de l’armée. A quand des patrouilles de parachutistes dans les cités ? Alors, que faut-il faire ? Certainement pas ce que fait le gouvernement dans son désarroi évident à l’égard du comportement des jeunes. L’instauration de la loi d’état d’urgence rappelle trop la Guerre d’Algérie et va connoter, encore plus, la stigmatisation des jeunes de banlieues dont on sait que nombreux sont ceux de deuxième et troisième générations maghrébines et africaines.
Commencer par envoyer un symbole fort : la démission du ministre de l’intérieur car ce dernier a commis une « erreur fatale » : la stigmatisation verbale de jeunes qui sont déjà beaucoup trop classés comme « voyous » par le seul fait de leur nom ou de leur faciès.
Abandonner toute politique de répression systématique au profit d’une politique de concertation et de prévention, encadrée par des personnels qualifiés. D’ailleurs à l’issue d’une garde-à-vue de 24 heures, 80 jeunes sont inculpés par rapport à 1.200 personnes interpellées depuis le début. Car il manque des preuves, étant donné que la police arrête systématiquement toute personne se trouvant autour ou dans les environs de voitures qui flambent.
Retrouver un diagnostic social plus pertinent, par une approche multiréférentielle de la situation.
Enfin ouvrir une discussion parlementaire de grande envergure, conduisant à des mesures concrètes et réalistes, au profit des banlieues.
Aujourd’hui, le ministre de l’intérieur fonctionne à la pensée clivée du Bien et du Mal, chère au Président des Etats-Unis d’Amérique Georges Bush. D’un côté les « purs », les « bons », de l’autre les « impurs », les « mauvais » à éliminer au « Karcher ». Il réitère, d’une manière obsessionnelle, ses propos discriminatoires dans un entretien télévisé le 10 novembre 2005. Cette pensée débile, indigne d’un homme d’Etat, mais habituelle des partisans de l’extrême-droite, de Le Pen à de Villiers, exclut une analyse appropriée du problème de fond des jeunes de banlieues.
Le premier ministre, Dominique de Villepin, renchérit en proposant de revenir trente ans en arrière, en réduisant la durée de scolarité à 14 ans au lieu de 16 ans, pour des jeunes qui – soi-disant – n’auraient pas de « goût aux études » ! Malgré tout, il se trouve obligé de désavouer la politique de son gouvernement en rétablissant les aides publiques aux associations de travail social de quartier.
De nouveau, on sait à qui s’adresse ce type de mesures : aux plus défavorisés des milieux populaires, à ceux que les historiens du passé nommaient « les classes dangereuses ».
Que peut-on craindre ? Une inclination à prendre encore plus de risque chez les jeunes « sans toit ni loi » et à l’émergence de « bavures » du côté des jeunes comme des forces de l’ordre. Après les débordements des parachutistes en Côte d’Ivoire et la dissimulation des exactions de quelques-uns par les plus hauts gradés de l’institution militaire, verra-t-on se reproduire la même chose en France, dans la police ? N’oublions pas que ce fut le cas à Paris, une certaine nuit d’octobre 1961, sous la responsabilité d’un certain préfet de police Maurice Papon, condamné depuis pour crimes de collaboration pendant la dernière guerre. Le 17 octobre 1961, la police parisienne massacrait par dizaines, voire par centaines, des Algériens qui manifestaient pacifiquement contre un couvre-feu discriminatoire. Faudra-t-il des morts – d’autres morts – pour qu’enfin les politiciens comprennent qu’il faut revoir l’orientation générale de leur ligne politique concernant la « fracture sociale ».