Le soixantième anniversaire du débarquement allié, la « Libération »  ou la Grande Illusion

Le pays commémore cette semaine le quatre-vingtième anniversaire du débarquement allié en Normandie. Il y a vingt ans, en 2004, René Barbier écrivait ce texte, en la même occasion.

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À grande pompe, l’Europe va célébrer le soixantième anniversaire du débarquement allié en Normandie. Pour l’occasion, on a accepté d’inviter le chancelier allemand, ce qui choque un certain nombre d’anciens combattants. Le massacre de jeunes hommes sur les plages normandes est rappelé par les médias avec force d’adjectifs qualificatifs qui masquent la vérité simple : la haine ne change pas si l’esprit de l’être humain n’a pas été transformé. Le président Bush y va de sa ritournelle ignorante : la nation américaine lutte contre la tyrannie terroriste comme elle a lutté, jadis, contre la barbarie nazie. Les politiques en France feignent de croire que l’hostilité entre les peuples, fondée sur le nationalisme footballistique, le chauvinisme des petites différences, la foi dans l’excellence patriotique de chacun, a disparu comme par miracle.

Pour avoir travaillé comme psychosociologue clinicien, pendant plus de dix ans avec l’Office fanco-allemand pour la jeunesse (OFAJ), je sais que les choses ne sont pas si simples. Sous les discours humanistes et l’idéologie proclamée de la paix, la triste réalité d’un ancrage psychologique dans le nationalisme et le militarisme demeure indécrottable quoique dissimulée. Français et Allemands restent, avant tout, des citoyens de leur patrie, limités à leurs croyances nationalistes. Il ne faudrait pas beaucoup de crises économiques et sociales pour voir les uns et les autres faire sauter le verrou et reprendre le chemin de la guerre, la fleur au fusil, comme en 14-18.

Les événements récents concernant l’antisémitisme, le racisme, la xénophobie en France comme en Allemagne, ne sont pas des épiphénomènes, mais des résurgences d’un fond inconscient de la folie meurtrière des peuples, entretenu par des intérêts sordides, parce que les « personnes » n’ont pas changé de manière radicale.

Les plus hautes sagesses de l’humanité le disent toutes : le changement à l’égard de la vie et de la mort est une expérience personnelle, intime, bouleversante et implique une révolution de la conscience. Elle s’ouvre sur la reliance universelle, sur la fraternité véritable et sur le respect absolu de tous les êtres sensibles.

A une époque où des députés de la droite demandent que la France revienne à la peine de mort pour certains crimes, et où les idéologies d’extrême-droite font florès, avec leurs relents de haine des autres, nous sommes loin de cette métamorphose des mentalités.

A quoi bon célébrer la « libération » à l’égard de la monstruosité de la guerre quant on sait que rien n’a changé dans l’esprit de l’homme.

Pendant la guerre des Sept Ages/ Golem vécut en agent double/ Dès qu’on apprit sa trahison/ Il déroula ses pèlerinages / La paix conclue un peu plus tard/ On fit jaillir un monument/ Immense et crénelé/ Le Monument du souvenir. On y chantait les jours de gloire/ Ce que les enfants ignoraient/ Pour l’occasion Golem s’installait/ Comme au théâtre

(René Barbier, Golem, José Millas-Martin éditeur, 1970, p.129)