L’accompagnement de recherche

1999, entretien avec René Barbier par Luc Ridel

Luc Ridel (L.R.) :

Tu l’auras probablement remarqué comme moi, le terme d’ »accompagnement » est très usité aujourd’hui… On parle ainsi d’accompagnement des malades en longue maladie, pour des problèmes de traitements du Sida entre autres, des traitements qui sont de plus en plus lourds. L’accompagnement concerne donc toute la relation médecin/malade à travers ça, dans la durée et le rapport aux médicaments qui s’ensuit. Et puis, j’ai été frappé par le fait que, de plus en plus, le mot « accompagnement » est valorisé : il remonte la Bourse des valeurs, dans beaucoup de situations qui tiennent plus ou moins à la notion de crise – durable ou temporaire, soit pour un moment de passage, soit pour des choses beaucoup plus dures.
Il y a toute la question des demandeurs d’emploi, bien entendu – qui va dans ce sens-là. Il y a aussi la question des étudiants pour lesquels maintenant on réinstaure des tutorats, afin d’éviter ou de diminuer les échecs en DEUG ; ce qui veut dire que cette « épreuve » universitaire encore, c’est quelque chose qui n’est plus évident maintenant. Il y a aussi en entreprise – ou dans les organisations – ce qu’on appelle le coaching, en utilisant un mot anglais parce que ça fait mieux pour l’imaginaire de l’entreprise… « Accompagnement », c’est banal…
Il y a un travail intéressant qui pourrait se faire par rapport à ça et il serait pertinent de savoir pourquoi ça vient maintenant dans un contexte où, de plus en plus, je crois, la psychologie sociale s’intéresse davantage à l’individu dans un contexte d’environnement qu’au groupe ou à l’institution comme étant des objets. On le voit avec les histoires de vie, dans ce contexte-là. C’est donc par rapport à ça que j’explore, en faisant quelques entretiens, pour l’instant, dans différents milieux ; y compris le tutorat, l’aide aux devoirs, pour renouveler aussi la question de la relation d’aide. Je t’explique donc le contexte de ma démarche… Je voudrais aussi aller voir ce qui se passe du côté de l’accompagnement de recherche et que tu me dises, dans un premier temps, ce qui te passe un peu par la tête et puis après, on reprendra ça, avec des choses peut-être un peu plus individuelles, plus précises.

René Barbier (R.B.) :

Dans la direction de recherche, le terme employé, quand tu es habilité à diriger des recherches, c’est bien la direction de recherche. Rien que dans cette appellation, il y a quelque chose qui n’est pas correct. Dans cette appellation officielle, dans la qualification que tu as… c’est correct en partie, mais c’est insuffisant. Car ce n’est pas simplement une direction (il faudrait d’ailleurs s’entendre sur ce qu’on met sous le terme de direction). C’est beaucoup plus large que ça. Quand on a l’habitude, justement, d’accompagner des étudiants en thèse, on s’aperçoit vite qu’il ne s’agit pas simplement d’une direction.

Une « direction », ça serait quoi ? Il s’agirait simplement de voir, avec l’étudiant, que la finalité de son travail, les méthodes de recherche, etc. doivent être faites dans un certain cadre, en fonction d’un certain objectif. Et on planifierait, on programmerait tout ça, pour essayer de répondre à cette fonction de direction. Mais, on s’aperçoit que ce n’est pas simplement ça. C’est beaucoup plus complexe que ça. Ça joue, en partie, mais d’une manière d’ailleurs modulée : ça dépend, naturellement, de la personnalité du professeur, mais c’est beaucoup plus large que ça. C’est pourquoi j’ai pu dire que l’appellation officielle est déjà insuffisante…
Mais si l’on disait « accompagnateur de 3ème cycle », immédiatement, ça dévaluerait la qualification. Puisqu’il s’agit de « directeurs » de recherche, ça veut dire, quand tu es l’un de ces « directeurs », que tu es la personne vraiment de référence qui va complètement encadrer le doctorant, lui donner les outils nécessaires, etc. Moi je conteste un petit peu cela, parce que je m’aperçois que dans un accompagnement de recherche (je préfère ce terme-là), il y a de nombreux problèmes autres qui sont tout à fait essentiels, pour faire que le doctorant arrive à terme, c’est-à-dire soutienne sa thèse, qu’il aboutisse. Et je dirai même que la partie purement technique, si elle est importante, n’est pas nécessairement la plus importante… en tout cas dans les sciences humaines. Il semble bien que c’est autre chose qui est plus important, surtout dans les moments de crise.

Commençons, cependant, par cette partie qui est « officielle », celle qui est nommée, en quelque sorte, dans cette habilitation : habilité à diriger des thèses. Il est vrai que dans cette partie d’accompagnement, en tant que directeur de thèse, tu as effectivement à faire en sorte de dialoguer avec ton doctorant, pour voir, dès le premier moment, s’il est possible que tu le prennes en doctorat. Parce que ce n’est pas une obligation, naturellement, pour le professeur de prendre quelqu’un en doctorat. Alors que c’est pratiquement une obligation en maîtrise, étant donné que normalement, un étudiant qui était en licence doit pouvoir faire une maîtrise. Parce que l’étudiant de maîtrise a le droit, effectivement, de terminer son second cycle. Il doit trouver un directeur. Et si l’on n’en trouve pas, c’est le responsable de formation qui doit assumer cette tâche. Dès le D.E.A, c’est autre chose…

A partir du 3ème cycle, le doctorat, c’est vraiment autre chose. Il faut que l’étudiant trouve un directeur qui va accepter de l’accompagner. Et on sait bien, naturellement, que ça dure plusieurs années. Ce qui implique que l’enseignant qui accepte un doctorant assume le fait qu’il va être engagé plusieurs années durant, au moins 3 ans et souvent 4, 5, 6 ans. Alors c’est une sacrée responsabilité ! Cela ressemble un peu à la négociation avec le psychanalyste qui va te prendre en cure… Cela suppose qu’on échange suffisamment avant, pour voir si c’est possible. La stratégie est très différente suivant les professeurs. Il y a des professeurs qui acceptent tout. Moi ce n’est pas ma position…
Ma position, c’est de négocier pour voir s’il y a un terrain commun d’entente, une sorte de minimum de connivence, tant sur le plan épistémologique que sur le plan théorique, méthodologique et sur le plan du champ, globalement. Il faut vraiment qu’il y ait un minimum de connivence. A partir de là, on peut négocier large. Personnellement je suis plutôt clinicien. Je travaille plutôt sur la dimension interculturelle, la dimension symbolique, la dimension imaginaire. C’est pourquoi je ne prends pas, j’essaie de ne pas prendre de thèses qui seraient trop quantitativistes, par exemple, où l’étudiant voudrait faire un travail sur les systèmes, etc. Là, je dis « non, je ne suis pas dans ce champ-là », ou « ce champ-là ne m’intéresse pas (ou plus) assez ». J’essaie vraiment de limiter les choses.

Par contre, il faut dire que nombre d’étudiants qui viennent te voir, t’ont connu avant. Ils le font parce qu’ils sentent une sorte de filiation. Ils veulent faire une thèse avec toi, justement parce qu’ils te connaissent. Ils connaissent tes écrits. Ils savent ce que tu fais. Ils connaissent ta façon d’être. Mais ce n’est pas toujours le cas… Il arrive que des gens viennent d’ailleurs, d’une autre fac. Ils sont envoyés par des collègues qui ne savent pas trop quoi faire de ces étudiants, parce qu’ils ont des sujets marginaux, etc. Alors il faut vraiment que tu négocies, pour savoir s’il y a quelque chose de possible à partager avec eux. Ça, c’est une phase très très importante : la recherche d’un minimum de connivence.

A partir de là, la direction de recherche, ça va être effectivement de faire tout un travail d’éclaircissement théorique, pour mettre au point – avec l’étudiant – l’objet de recherche, de voir le champ théorique qui accompagne cet objet, de le mettre en rapport avec des personnes compétentes dans son domaine, parce que toi tu n’es pas forcément compétent « de pointe » dans tous les domaines. Donc l’étudiant peut avoir besoin de rencontrer des gens. C’est à toi, (c’est bien, je pense, la fonction de directeur de recherche) de dire : « il faut aller là, à tel endroit, à l’Ecole des Hautes Etudes (par exemple), voir telle personne qui va être un informateur tout à fait privilégié. » Il y a cela et derrière cela, au niveau de la direction, il y a aussi tout le travail d’adéquation de la méthodologie de recherche avec l’objet de connaissance et avec la problématisation de l’objet. Là non plus ce n’est pas évident parce que les étudiants souvent sont un peu perdus, pour savoir quelle méthodologie prendre par rapport à leur objet de recherche. Il faut aussi montrer, éventuellement, les lacunes que peut présenter l’étudiant, dans la méthodologie. Tous les doctorants n’ont pas les compétences requises, pour mettre en oeuvre des méthodologies.

Par exemple, moi, je développe la recherche-action (R.A.). Quand je commence à leur dire ce qu’est vraiment la R.A, si l’on veut la faire en toute connaissance de cause, alors ils s’aperçoivent de la difficulté. Parce que ça suppose un grand engagement. Ça suppose que des gens s’engagent avec. C’est vraiment un collectif qui s’engage dans une recherche ; c’est une écriture collective… Beaucoup de choses apparaissent alors. Sous le gadget R.A. qui a pu les séduire, à travers des lectures ou parce qu’on leur en a parlé… Ils s’aperçoivent que mettre en jeu une recherche-action, c’est autre chose. C’est ça, la direction de recherche, pour moi, sur un plan un peu classique : c’est vraiment discuter l’objet de recherche, la construction de l’objet au fur et à mesure qu’il se construit, discuter la problématique, les méthodologies, les techniques mises en oeuvre, et voir si c’est approprié à l’objet de recherche.

L.R. : Tu as commencé tout à l’heure par dire que « c’est plus large que ça ». Le « ça », tu en as parlé dans la « direction de recherche »…

R.B. : On peut croire qu’on peut s’en tenir là… Mais mon expérience me prouve que ce n’est pas possible. Si on se limite à ça, l’étudiant aura bien du mal (à moins qu’il ait une force terrible) à continuer sa thèse et à la terminer. Il faut voir quand même que c’est un travail de 3 à 6 ans, donc de longue durée, que l’on fait avec quelqu’un que l’on reçoit assez régulièrement… Quand recevoir l’étudiant ? Normalement, jusqu’à présent, un étudiant en doctorat, il est lâché dans la nature. (Avec les écoles doctorales, ça sera peut-être un peu différent.) Après le D.E.A, c’est fini. L’étudiant ne fait plus partie de rien, d’une certaine façon… à moins qu’il ne fasse partie de ton laboratoire de recherche, il est vraiment « lâché dans la nature ».

Moi, personnellement, je constitue des groupes de doctorants. Tous ceux qui font des doctorats avec moi se réunissent toutes les 6 semaines à peu près, pendant une demi-journée. On organise une réunion pour voir où ils en sont, avec, en plus, les réunions individuelles. Mais ce n’est absolument pas obligatoire. Donc, on s’aperçoit que se noue – à ce moment-là – entre le directeur de recherche et l’étudiant, une sorte de complicité. C’est une complicité cognitive et épistémologique, mais qui, peu à peu, va plus loin. Tu comprends, avec quelqu’un qui avance comme ça… Ça s’ouvre sur une amitié. Bien sûr, ça dépend des personnalités et des professeurs.

Mais moi-même, quand j’ai fait ma thèse de 3ème cycle, au début des années 70, j’avais comme directeur de thèse Jean-Claude Passeron qui était quelqu’un d’assez réservé. Mais il n’empêche, je suis allé plusieurs fois chez lui. J’étais invité à des fêtes très personnelles, avec des « maîtres de conf. » (maîtres-assistants, à cette époque) qui gravitaient alors autour de lui. J’étais bien dans un petit cercle d’intimes autour de Passeron. Et je crois que c’est ça aussi qui se joue avec des étudiants de doctorat… à moins que tu en aies 50 ou 60 ! Mais justement, quand tu sélectionnes un peu, quand tu n’en as pas soixante, mais une dizaine, c’est évident que si tu travailles avec eux, ils deviennent des amis. Il y a une sorte d’amitié conflictuelle, comme dit Kostas Axelos, avec les étudiants de 3ème cycle. Si tu peux les aider, naturellement, pour quelques-uns, à aller plus loin, à avoir une charge de cours ou à participer à tes travaux de laboratoire, etc. Là, c’est une autre fonction que je signalerai, du directeur de recherche : insérer aussi l’étudiant dans des activités de recherche, plus collectives, du laboratoire. Et puis, il y a cette amitié. Pour moi, lamitié est constitutive de la direction de recherche.

L.R. : Souvent, ils viennent te trouver dans un rapport un peu de maître à élève et tu sens le besoin de faire évoluer ce rapport-là, pour aider quelqu’un à aboutir…

René Barbier

Oui, c’est ça. Ce seul rapport-là est insuffisant. Et si l’on en reste là, à un certain moment, on n’aura pas la capacité d’écouter quelque chose d’autre – qu’il est absolument nécessaire d’écouter, si l’on veut que l’étudiant passe un certain obstacle. On ne doit pas rester sur un pur rapport de maître à élève ou sur un rapport de spécialiste savant par rapport à un jeune.

L.R. : Il faut plutôt accepter une relation de compagnon.

René Barbier

Oui, c’est plus proche du compagnonnage où la dimension affective et amicale devient plus réelle. Jusqu’au D.E.A, ça peut rester assez scolaire. Mais après le D.E.A, dans ce long trajet, c’est vraiment autre chose qui se joue. Et l’on s’aperçoit alors des autres dimensions de l’accompagnement de recherche. Plus on entre dans une certaine amitié, plus l’étudiant va se confier sur le plan de ses difficultés internes. Par exemple, le rapport à l’écriture, les blocages dans la recherche, les impasses avec les impossibilités de faire le travail sur le terrain, avec les blocages qui viennent non seulement de la personne, mais aussi de la société et du groupe. Tout ça, ce sont des choses qui perturbent souvent profondément le jeune chercheur. Et il a vraiment besoin d’en parler avec quelqu’un qu’il sait être réceptif à ses angoisses. Parce que ça se joue au niveau de l’angoisse, pour l’étudiant. Surtout au niveau des difficultés dans l’écriture. Les gens peuvent rassembler beaucoup de matériaux et puis avoir déjà pensé à des tas de choses pour les organiser… Mais devant la page blanche, ils n’arrivent pas à composer leur thèse. Il faut pouvoir aussi travailler avec eux.

Et puis, au-delà de ça, toujours au niveau personnel, comme ça dure de 3 à 6 ans, il y a les ruptures de vie chez le doctorant ; il y a les morts qui traversent cette séquence de vie, chez l’étudiant. Il y a les ruptures affectives, des inattendus, tout ce qui concerne le côté imprévisible de la vie – qui viennent souvent bouleverser complètement une vie, et qui relativisent la thèse comme objet important aux yeux de l’étudiant.

C’est vrai que si une mort te traverse, la thèse, ce n’est plus si important que ça ! Donc il faut à ce moment-là que le directeur de thèse soit présent pour comprendre tout ce qui se joue à la fois, alors, chez l’étudiant (ça suppose que l’étudiant puisse lui en parler). C’est pas vrai si tu es uniquement directeur de thèse, il ne t’en parlera pas. Pour qu’il puisse t’en parler, il faut que tu sois suffisamment proche. Donc là, l’accompagnateur doit être réceptif, pour que l’étudiant puisse dire combien ça le bloque actuellement ; ou même qu’il n’a plus envie de faire ça. Comme le dit Bernard dans sa préface, il y a des moments où l’on a envie de tout laisser tomber. Lui, encore, il n’a pas connu ces moments éprouvants : il n’a pas subi des ruptures pendant sa thèse. Mais moi, j’en connais d’autres qui ont vécu des ruptures. Ça peut être la perte d’un emploi, des deuils, des ruptures affectives avec sa compagne… comme c’est normal, au bout de 5 ou 6 ans : il y a beaucoup de choses qui arrivent. Tout ça, le directeur de recherche – en tant qu’accompagnateur – l’assume. Naturellement, c’est ma conception. Je suppose que si j’en discutais avec des collègues, ils ne seraient pas tous d’accord avec ça. Mais moi, j’ai une conception existentielle de la recherche. Donc, pour moi, c’est évident que ça fait partie de ma fonction, de pouvoir travailler à ce niveau-là.

Et puis il y a des choses qui sont plus graves, mais de même nature, des dérives qui posent de graves questions, parce que ce sont des questions ontologiques. Pour moi, par exemple, qui travaille sur ces sphères des valeurs et plutôt de la vie – où la spiritualité (c’est-à-dire la réflexion spirituelle profonde sur le sens de la vie) n’est pas absente – et avec cette ouverture délibérée sur l’Orient, je peux apporter un témoignage particulier.

Je pense actuellement à une étudiante bien avancée dans sa thèse, mais qui s’est plutôt engagée dans la réflexion spirituelle, notamment à travers l’oeuvre de Krishnamurti, à travers le bouddhisme et qui a renoncé à pratiquer autre chose. Peu à peu, dans sa propre évolution, elle a commencé à transformer les intérêts réellement en jeu : les intérêts de connaissances ou savoirs académiques – qui sont propres à la thèse – sont devenus de plus en plus secondaires. En revanche, des intérêts de pratique et d’investissement dans des zones de connaissance expérientielle sont devenus pour elle beaucoup plus importants. Alors là, on se trouve devant quelqu’un qui, peu à peu, prend des distances avec son objet de recherche. Et il y a un rôle à jouer alors, pour le directeur de recherche. Non pas pour lui dire : « Tu vas faire ça », mais pour essayer de voir avec cette personne toute la complexité du problème. Pas pour lui dire : « tu ne dois pas dériver ni abandonner ta thèse »… parce que ça, c’est du ressort intime…

En fin de compte, on n’est pas obligé de faire une thèse ! Ce n’est pas ça qui va te donner le sens de la vie, de faire une thèse ! Mais en même temps, quelqu’un qui s’est engagé dans une thèse s’est engagé dans une relation de réciprocité. Elle a engagé son directeur de thèse puisque si j’ai pris une personne, je n’en prends pas une autre, c’est-à-dire qu’il y a aussi une responsabilité – qui est une responsabilité sociale. Donc il y a une négociation à faire, pour essayer d’écouter et – du point de vue du directeur de thèse, c’est important – d’écouter réellement ce qui fait sens pour la personne, au-delà de l’imaginaire d’un « c’est bien d’aller du côté de « Machin Chouette » ou de pratiquer telle technique de méditation. » Non… au-delà de tout ça, c’est important d’écouter vraiment ce qui fait sens. Et si l’on reconnaît que ça fait sens pour la personne, accepter que cette étudiante puisse partir… même si tu as passé beaucoup de temps avec elle, donné de l’énergie, et d’autant plus si tu penses que son sujet est très important pour développer des objets de recherche ou des champs de recherche qui te paraissent essentiels dans ce que tu fais.

L.R. : Et apparemment, quand tu dis ça, tu as un cas…

René Barbier

Oui, j’ai un cas actuellement et j’ai eu des cas avant, notamment en D.E.A. Par exemple une étudiante qui a terminé son D.E.A. Je la voyais bien faire une thèse. C’était sur la philosophie taoïste de l’éducation. Mais, à l’issue de son D.E.A, cette jeune femme – qui avait 28 ans – m’a dit : « Non ! Je ne fais pas une thèse, tant que je ne connais pas le chinois et tant que je ne serai pas allée plusieurs fois en Chine. (Elle avait déjà été 2 fois en Chine, quand elle a fait son D.E.A) Mais non, je vois bien que je ne suis pas mûre pour faire une thèse de cette nature »… C’est-à- dire de ces thèses qui bouleversent, parce que ça touche à l’essentiel de la vie. Donc, elle, elle s’est arrêtée avant. Elle a dit « On verra plus tard ». Mais il y en a d’autres qui s’engagent…

J’ai actuellement des doctorants qui s’engagent dans des recherches de pointe : une sur l’autorisation noétique – autorisation à devenir soi-même – à travers tout un processus de réflexion, où la spiritualité n’est pas absente. En éducation, elle veut voir comment des processus éducatifs peuvent permettre ça. C’est évident que chez elle, il y a tout un approfondissement qui se fait. Je lui ai demandé de se décentrer. Alors elle fait des entretiens auprès d’autres personnes. Mais, dans les entretiens, il y a beaucoup de choses qui remontent, qui la touchent. Et, parfois, cette personne-là s’interroge : « est-ce que je vais poursuivre ou non ? » Et l’on est sans cesse « sur la brèche », comme directeur de recherche, pour soutenir, écouter d’abord, pour savoir ce qui fait sens, mais aussi accompagner l’interrogation dans un sens constructeur. Et parfois, ce sens constructeur peut aller vers la conclusion qu’il vaut mieux arrêter…

C’est difficile à jouer pour le directeur de recherche. Parce que, quand tu prends un étudiant en doctorat, ça veut dire que tu crois qu’il va faire avancer la connaissance et même par rapport à quelque chose qui te tient à coeur… Donc, il y a un sens de la perte important à vivre pour le directeur de recherche. Un directeur de recherche qui ne connaît pas ce qu’est le manque et ce qu’est la perte, je crois, n’arrive pas à accomplir sa fonction.

L.R. : Et donc, j’imagine que tu fais allusion, comme tu l’as dit tout à l’heure, à des situations de véritable crise.

René Barbier

Oui, de véritables crises qui peuvent aller très très loin. Parfois, il faut soutenir les étudiants au niveau de la dépression, voire du suicide. Vraiment, il y a des moments de crises très graves.

L.R. : Mais alors, pour l’intéressé, qu’est-ce qui se joue ? Qu’est-ce qui est véritablement en jeu ?

René Barbier

Souvent, c’est la question du sens : est-ce que ça fait sens que je continue mon doctorat ? Du sens pour qui ? Est-ce que c’est le sens pour mes parents ? Pour l’institution ? Ou est-ce que c’est aussi du sens pour moi ? Si la personne ne trouve pas que c’est un sens pour elle, en général, c’est la situation de crise.

L.R. : Oui… Pour des idéaux ou…

René Barbier

Et là, il y a vraiment une écoute et un dialogue à avoir. Parce que si la personne t’a choisi comme directeur de thèse, justement parce que tu étais réceptif, elle attend de toi aussi qu’au moment de la crise, tu puisses lui répondre. Et elle pourra accepter de se confier … Si elle accepte de se confier, c’est qu’elle attend de toi que tu puisses l’écouter et avoir avec elle une fonction de conseil. « Tenir conseil », comme dit Lhotellier – qui n’est pas « lui donner conseil », mais plutôt « tenir conseil » avec elle.

L.R. : Lhotellier, c’est qui ?

René Barbier

Alexandre Lhotellier, c’est un spécialiste du conseil… Je crois que pour moi, tout cet aspect-là, qui n’est pas purement technique, c’est une dimension très importante de la fonction d’accompagnateur.

L.R. : Tu peux avoir peur, quelquefois, quand tu accompagnes tes thésards ?

René Barbier

C’est pas tellement la peur… Mais c’est le fait que tu te trouves parfois devant des questions dont tu n’as pas la réponse parce que la réponse appartient vraiment à la personne… Et donc, il faut pouvoir assumer la non-réponse.

L.R. : Ces questions, ce serait quoi, par exemple ?

René Barbier

Sur le sens de la vie : est-ce que je vais passer ma vie à continuer à travailler sur quelque chose qui, maintenant, n’a plus le sens radical que je lui donnais avant, quand j’ai commencé ? (parce que maintenant, je trouve d’autres voies où il y a vraiment un sens radical).

L.R. : En somme, c’est une question d’investissement.

René Barbier

Oui, d’investissement. Mais, en même temps, si tu es le directeur de recherche, tu dois faire comprendre à ton étudiant que, investir dans d’autres lieux, ça peut être aussi une fuite, une fuite en avant. C’est pourquoi ça demande une écoute extrêmement fine, ce que j’appelle une écoute sensible. Parce que, il ne s’agit pas d’accepter n’importe quoi de l’étudiant : « je suis emballé par ça ! » Non ! Il faut pouvoir l’amener à regarder tout ça avec lucidité. Essayer de voir avec lui, si ça fait vraiment sens, d’aller ailleurs. Ne pas accepter a priori, mais confronter. Essayer de voir « le pour et le contre », toutes les dimensions. On touche parfois même à des questions de l’inconscient… Mais le rôle du directeur de recherche, ce n’est pas d’être le psychanalyste de l’étudiant, naturellement ! Il a un rôle qui va jusqu’à un point. Et s’il voit qu’il arrive à des zones qui dépassent sa compétence et surtout son temps, il faut qu’il puisse l’envoyer ailleurs…

L.R. : Alors, justement, comment fait-on, quelle position prendre, pour éviter de devenir psychanalyste ?

René Barbier

Moi je crois que quand on est au clair soi-même, quand on ne veut pas faire un travail sur l’inconscient, quand on a décidé qu’on n’irait pas de ce côté-là, on effleure des choses… Mais on n’y va pas. On reste dans l’existentialité : tout ce qui reste dans l’existentialité, on peut l’aborder. Mais quand on sent qu’on touche à des régions archaïques de la personne, on sait qu’on ne peut pas l’aborder. On peut l’effleurer, on peut susciter une question, tout en disant que ça, dans le cadre de l’accompagnement de recherche, on ne peut pas l’approfondir : ça doit se faire ailleurs.

L.R. : D’abord, on reste dans le présent.

René Barbier

C’est sûr. Et tu vois, moi, je pense l’accompagnement de recherche comme vraiment existentiel : une recherche engagée dans le présent. Même s’il y a des choses du passé qui remontent, évidemment, on reste dans le présent.

L.R. : Est-ce que, spontanément, il te vient des images de ton rôle, de qui tu es dans un moment donné, dans une évolution comme ça, en tant qu’accompagnateur ?

René Barbier

Il y a évidemment l’image du père. L’image du père est tout à fait importante, quel que soit l’âge et quel que soit le sexe. C’est évident que, si on vient te voir et que tu as les cheveux blancs en plus, ça accroche encore mieux, d’une certaine façon ! Mais, surtout quand on fait une recherche avec toi, parce qu’on t’a connu dans d’autres lieux pour ce que tu disais, pour ce que tu faisais, si on fait une recherche avec toi pour ça…

L.R. : Donc il y a toujours déjà un transfert…

René Barbier

Toujours, à mon avis. Toujours il y a une dimension transférentielle et qu’il faut reconnaître, en tant que responsable. La reconnaître et l’assumer ; mais il faut essayer de l’assumer dans le présent. Quand on reconnaît ça, on ne renvoie pas à des images du passé qui font partie du roman familial de la personne. On reste dans le présent et on sait qu’on a cette image-là. Éventuellement, on peut « nommer ». Ce n’est pas forcément utile parce qu’on le sait, mais l’autre le sait aussi… Il est assez fin pour le savoir ! Donc ce n’est pas essentiel de le nommer. Il faut pouvoir en faire quelque chose de créateur. Et je crois qu’on peut en faire quelque chose de créateur, quand on l’assume bien, justement.

Outre l’image du père, il y a aussi l’image du savant ; l’image de celui qui sait. Et ce n’est pas forcément l’image du père, ça ! Il y a aussi l’image de la personne non seulement qui sait, mais qui a les relations dans le domaine. Et ça peut éventuellement aboutir à un boulot ou à une insertion sociale. Ça fait aussi partie de cela, même si c’est très imaginaire souvent.

Il y a encore l’image du maître spirituel. C’est pas le père, ni le savant, ni le fournisseur de métier. C’est alors l’image du maître spirituel ou du sage, surtout sur des objets qui touchent à la philosophie de la vie, la philosophie de l’éducation, d’autant plus avec ces recherches psychosociologiques à ouvertures sur des cultures différentes. La question du symbolique est toujours très présente, à ce moment-là. Alors, là aussi il faut écouter, de telle sorte que tu ne tombes pas dans ce type de rapport, que tu n’y sois pas enfermé. Parce que sinon, ce serait vraiment désastreux. Là aussi, il faut bien écouter. C’est tout un processus, mais tu le vois assez facilement. Et la façon dont tu réagis fait que la personne prendra des distances ou « reconnaîtra ». Il faut toujours élucider, de toute façon, cette question-là. Mais, c’est une facette possible de l’accompagnement de recherche qu’il ne faut pas nier. Surtout quand on touche aux valeurs quand les objets de recherche concernent les valeurs. Et quand on travaille sur l’imaginaire, c’est le cas.

L.R. : Et qu’est-ce que tu disais l’autre jour ? Que c’est une approche qui devait être pluri… Pluri quoi ?

René Barbier

Pluriréférentielle et pluridimensionnelle. Pluriréférentielle, pour, dans l’accompagnement de recherche écouter non seulement en tant qu’homme de sciences. Tu es dans une discipline (ou plusieurs que tu articules) – dont tu connais les tenants et les aboutissants. Donc, en tant que directeur de recherche, tu aides dans ces disciplines, c’est évident. Mais en même temps, pour vraiment accompagner, comme il y a d’autres dimensions, il faut que tu aies d’autres références.
Si tu n’as aucune référence analytique, psychologique ou des références spirituelles, par exemple, comment peux-tu écouter des gens qui ont des interrogations spirituelles ? Si tu as décidé une fois pour toutes que la spiritualité, ça n’existait pas, ou que ça n’avait pas de sens, ou que c’était pas ton rôle… Si tu ne connais pas toi-même les difficultés de l’écriture, comment peux-tu comprendre quelqu’un qui a ces difficultés ? Je dis cela, parce qu’à mon avis, l’Education Nationale a complètement exclu ces dimensions-là. La dimension de la mort, par exemple, est complètement occultée. Quand quelqu’un meurt, on n’en parle pas, dans une institution, dans l’E.N…

J’ai actuellement un cas très précis, dans l’institution B. – une institution de sourds – où quelqu’un s’est suicidé. Les enfants sont complètement perturbés et la directrice n’a rien fait. Ils ont laissé le « black out » total, y compris auprès des institutrices. Ça reste du non-dit et ça pèse terriblement.
Moi je me souviens du cas, pour dire l’inverse, en tant que responsable de formation pour le DUFA : lorsqu’Agnès est morte – elle intervenait dans le DUFA – les étudiants ont été profondément perturbés, parce qu’ils l’aimaient bien. Et on en a parlé tout de suite. Moi-même j’en ai parlé, alors que j’étais impliqué. On a fait une séance là-dessus tout de suite. Et après, j’ai institué un groupe, à la demande des étudiants (un groupe qui a duré plusieurs séquences et qui a été assumé par Jacques Ardoino) sur la question de la mort. Car il y avait un certain nombre d’étudiants qui avaient absolument besoin d’en parler. L’ordre a été dérangé et on l’a assumé totalement. Et ça, ça ne se fait pas dans une institution. Ça ne se fait jamais. Jamais tu n’observes une telle prise en compte.

L.R. : Ça vaut le coup, je crois, d’essayer de voir les relations entre l’accompagnement et la mort…
Je sens qu’il y a une proximité entre les deux, mais je ne sais pas trop comment. Elle est effective, par exemple dans l’accompagnement des fins de vie… Mais c’est peut-être aussi parce que l’accompagnement amène la question de la durée, donc forcément la question des ruptures possibles. Alors que toi, tu as fait un travail ponctuel sur la finitude… On travaille dans l’illusion, à ce moment-là.

René Barbier

Mais, tu vois, la multiréférentialité, elle résulte de ça. Si tu veux accompagner quelqu’un dans la complexité de son être, tu es obligé de travailler avec une multiréférentialité. Etant réceptif aux différentes dimensions de la vie d’un doctorant – qui s’est fortement engagé dans son travail, surtout si son travail est un objet existentiel, nécessairement tu es obligé d’écouter d’une façon multiréférentielle.

L.R. : Est-ce que ça peut être autrement, autre chose que ce que tu appelles un objet existentiel, cet objet de recherche ? Est-ce que ça ne se découvre pas toujours à l’horizon comme un objet beaucoup plus impliquant qu’on ne le pense ?

René Barbier

Même pour des choses qui apparemment semblent très lointaines… D’ailleurs je le vois bien pendant cette fameuse phase de négociation… Je vois bien des étudiants qui veulent travailler avec moi, mais éventuellement sans aller trop loin. Ils prennent des objets qui tendent un peu vers l’extérieur. Or, au fur et à mesure qu’ils travaillent, ils s’aperçoivent que ça les concerne. Même si, au départ, c’était vu apparemment comme extérieur… Par exemple, quelqu’un va travailler sur l’échec scolaire. Naturellement, c’est l’échec des autres… Et puis il va s’apercevoir que ça remonte chez lui à des choses très précises…

L.R. : Il y aurait alors peut-être quelque chose à voir entre un objet de recherche et son symptôme, et il faudrait travailler ça ensuite…

René Barbier

Oui… Et c’est une grande question que je me pose : comment on peut suivre des étudiants, comme ça, comme je veux les suivre, moi, si l’on a 50 thèses ? Parce que… Il y en a quand même un certain nombre qui ont 50 thèses… et même plus ! Je ne sais pas comment on peut faire. Mais je pense qu’on ne peut pas. Donc on se cantonne dans un rôle de directeur très fonctionnel.

L.R. : Alors, est-ce qu’ils cherchent ailleurs ? Ce qu’on peut dire, c’est que si ce rôle n’est pas assumé, est-ce que les étudiants trouvent des substituts ailleurs ?

René Barbier

Il suffit de les entendre parler de leur directeur de thèse pour savoir… C’est très simple ! Ecoute un étudiant parler de son directeur de thèse. Tu sauras de quel style est ce directeur de thèse.

L.R. : Il me vient là un petit peu des souvenirs de ce que j’ai pu vivre dans ma propre thèse… C’était quand même une fusion avec l’objet. Et l’on ne s’y retrouve plus, parce qu’on devient sa thèse ! On est un peu fou : on expérimente alors ce que ça peut être d’être obnubilé par un objet.

René Barbier

Il y a un autre moment – je dis ça, parce que ça me vient à l’esprit maintenant – il y a un autre moment dans la fonction de directeur de thèse, un moment très ponctuel mais essentiel : c’est le moment de la soutenance qui comprend l’avant-soutenance, la soutenance et l’après-soutenance. L’avant-soutenance, c’est ce que tu viens de voir avec Bernard : Il faut voir le jury. Il faut négocier avec la bureaucratie de l’université qui n’en finit plus ; avoir suffisamment de contacts, des contacts personnels, y compris avec la bureaucratie. Sinon, si l’on s’en tient aux règles, ça devient vite très bloquant. Avoir aussi un réseau de collègues susceptibles de pouvoir entrer dans un jury de thèse. Ce n’est pas évident de trouver 5 personnes, d’autant plus que les thèses arrivent souvent en même temps. Tu as pris des thésards à un certain moment, ils terminent leur thèse à une certaine période… Tout ça, c’est l’avant-thèse avec toutes les angoisses qui accompagnent ça : « Oh ! j’ai encore trouvé des fautes dans mon texte ! Mon truc est mal photocopié ; il est mal relié. » C’est l’avant-thèse… Mais quand tout est réglé, il y a encore l’angoisse de se dire : « est-ce que tout le monde va bien être là le jour de la soutenance ? »

Pour moi, c’est toujours une angoisse. Je l’avais quand j’ai soutenu mon habilitation, quand j’ai soutenu ma thèse. Je l’avais : « est-ce qu’ils vont tous être là, tous les 5 ? » Une fois que tu les vois, tu dis « Ouf ! » Moi, c’est marrant, parce que je n’avais pas d’angoisse au moment de la soutenance. C’était avant : « est-ce qu’ils vont bien être là ? » ou encore « est-ce qu’ils vont être malades ? » Donc ça reporte … et des choses comme ça. Moi, je revis ça avec mes doctorants. Je ne suis pas bien, jusqu’au moment où je suis en thèse, avec les membres du jury : « ça va, ils sont tous là ! » Peu importe qu’ils disent des choses dures… Ils sont là ! Parce que je connais l’angoisse du doctorant, jusqu’au moment où il soutient. Et puis après, il y a le résultat qui tombe, avec parfois, des désillusions, par rapport à ce qu’on attendait. Et des désillusions qui sont très difficiles à vivre. Et parfois qui résultent d’une scission dans le jury.

Je me souviens du cas de quelqu’un qui avait fait une grosse thèse qui, à mon avis, était très originale, peut-être trop. Elle s’enfermait peut-être un peu trop dans son monde, tellement c’était original. C’était lié à une pratique de vingt ans des ateliers d’écriture… Et le jury s’est séparé en deux avec un certain nombre qui voulaient vraiment la mention la plus haute et un autre qui voulaient carrément la mention « honorable ». Ça a donc été très dur. On lui a finalement donné une mention moyenne : une mention « très honorable » – qui est une bonne mention. Mais enfin elle, je sais qu’elle l’a mal vécu.

L.R. : C’est qu’à ce moment-là, ça réactive un peu la notion de « directeur-de-thèse-qui-était-censé-la protéger-contre-ces-ennemis-là »…

René Barbier

Tu ne peux pas exclure, dans l’accompagnement de thèse, la question de la culpabilité. C’est au coeur de l’accompagnement de thèse. C’est-à-dire : « ai-je tout fait pour que ce doctorant qui a passé tant d’années là-dessus, soit au meilleur de sa forme et ait produit le meilleur document possible ? » Tu ne peux pas exclure ça, même si tu as passé beaucoup de temps, tu as dépensé ton énergie. Et puis, il y a aussi la question des étrangers parce que moi je travaille beaucoup avec les étrangers, surtout des gens d’Extrême-Orient. C’est encore une autre culture, une autre forme de sensibilité, une autre forme de raisonnement. Il y a beaucoup de silence, avec les Asiatiques, par exemple… Il faut assumer le silence. Il faut comprendre ce qu’il y a dans le silence. Et donc, c’est encore une autre réceptivité : la réceptivité à la culture autre. Tu passes deux à trois fois plus de temps avec un étudiant de culture autre. Naturellement, tu es obligé de passer beaucoup plus de temps ! Donc, là aussi, on peut se demander « Qu’est-ce qui te fait courir à ce point ? » Ce sont des questions aussi que tu dois te poser. C’est-à-dire qu’en temps qu’accompagnateur de thèse, si tu entres dans ces dimensions-là, il y a un flot de questions qui rétroagit sur toi : « mais qui es-tu, pour t’intéresser à ça ? Pour faire ci ou pour faire ça ? ou pour ne pas faire ci, ne pas faire ça ? » L’accompagnement de recherche est une sorte de processus de connaissance de soi.

L.R. : Oui, inlassablement.

René barbier

Mais, pour revenir à l’après-soutenance, c’est aussi soutenir des étudiants qui, parfois, sont mal en point après leur soutenance. Ils ont eu leur thèse (parce que quand ils soutiennent, ils auront leur thèse… ) Mais ils l’ont eue, peut-être, avec une mention qui n’est pas celle qu’ils pensaient avoir.

L.R. : Oui… et puis tu es, dans ce cas-là, toujours partie prenante du système…

René Barbier

Tu étais membre du jury. C’est aussi toi qui as décidé de tel et tel jury même si tu négocies ça avec l’étudiant. Parce que moi, j’estime qu’à ce niveau-là, quand l’étudiant va finir sa thèse, ce n’est pas le professeur tout seul qui va décider du jury. On en discute avec l’étudiant.

L.R. : Il vaut mieux, oui… Vu les conséquences !

René Barbier

Oui. Parce que parfois, les étudiants veulent tel nom ou tel nom. Mais il faut leur dire aussi que tel nom et tel nom, c’est peut-être parfois des gens extrêmement cassants. Il n’y a pas simplement l’imaginaire… Il faut voir la réalité des choses. Moi, je dis aussi qu’il y a cette fonction avant, pendant et après.

Pendant la soutenance, c’est le rapport que tu fais toi. Tu parles et tu dois parler à un autre niveau que les autres membres du jury. C’est très important. Parce que j’ai vu parfois des prises de parole de directeurs de recherche qui étaient complètement désastreuses, pour l’étudiant. Tu dois parler en décrivant tout le processus qui a conduit l’étudiant du début jusqu’à la fin. Tu dois en parler en montrant l’intérêt de son travail, tout en pointant, éventuellement, en même temps un certain nombre d’interrogations. Et il faut que dans ta parole de directeur de recherche, il y ait suffisamment de chaleur humaine, pour faire comprendre à tes collègues que vraiment, ça a été un travail important tout ça. Mais pour ça, il faut que ça soit vrai… Tu ne vas pas raconter des « bobards » ! Donc, c’est en fonction du lien que tu as entretenu avec l’étudiant pendant toutes ces années, où tu as suivi la progressivité de son travail, où tu lui as posé des questions, où tu lui as donné certains conseils – dont il a tenu compte, que tu peux dire un certain nombre de choses.

L.R. : J’imagine aussi que, de temps en temps, l’étudiant vient te chercher, toi, sur ton terrain… si on revient un petit peu sur la question de la relation, avec l’idée de modèle, de père, enfin tout ce que tu disais. Mais, s’il y a aussi cette espèce de mélange avec une démarche qui peut être clinique d’une part et pédagogique d’autre part, le mélange est difficile !

René Barbier

Très difficile et tu ne peux pas y échapper. Tu es obligé d’accepter les deux dimensions sachant que, pour moi en tout cas, dans l’approche clinique, je m’en tiens à une approche existentielle, c’est-à-dire purement dans le présent. Donc, je ne vais jamais voir du côté du passé. Je ne vais jamais travailler avec la personne en disant : « mais ton père… Est-ce que ci ? est-ce que ça ? et ta mère ? » Non ! Même si, dans l’approche existentielle, il y a la filiation qui existe, jamais je ne vais chercher une raison ou une interprétation du côté du père, de la mère, etc. Je reste très fixé au présent…

L.R. : Est-ce que, par exemple, tu sens de temps en temps quand même, qu’en dehors du fait de parler du passé, il y a quelque chose qui se joue dans la relation – qui, par exemple, bloque la progression des choses ?

René Barbier

Avec moi ? Naturellement ! Dans la mesure où je suis une image de père ou peut-être d’oncle, ou même de frère… ça peut être toute la constellation familiale ! Dans la mesure où tu sens qu’il y a du transfert, tu peux saisir effectivement quelque chose qui peut être un blocage. Mais ce n’est pas forcément un blocage. Ça peut être, tout au contraire, un accélérateur, ça peut être un moteur !

L.R. : Justement, dans la mesure où tu es sur le versant des idéaux, à la fin, il arrive un moment où tous les idéaux sont moteurs. Et puis, comme tu le disais, dans les moments de dépression, les idéaux peuvent, au contraire, provoquer de la régression comme « c’est pas fait pour moi, j’ai vu trop haut ! »

René Barbier

C’est vrai qu’on doit essayer de comprendre ça, de saisir… Là, tu peux te permettre de dire quelque chose à ce niveau-là, si tu le sens comme étant juste : faire une interprétation. Parce que pour moi, ça reste dans le présentiel, dans l’existentiel, d’éventuellement susciter une question, si ça peut débloquer un peu les choses. Mais il faut d’abord que toi-même tu le voies, ce qui n’est pas sûr, naturellement et puis que ça se présente bien dans la situation, c’est-à-dire que ça soit possible.

L.R. : Il pourrait y avoir parfois des relations… d’ »accrochage », avec des coups de téléphone un peu intempestifs… j’imagine des choses un peu comme ça, dans cette relation…

René Barbier

Tu peux rencontrer une certaine animosité… En l’occurrence, je me souviens d’un cas, que je trouve, d’ailleurs tout à fait justifié, de quelqu’un qui avait soutenu sa thèse. Il y avait eu un peu de difficultés au moment de sa soutenance. Il avait obtenu la mention très honorable. Peut-être qu’il aurait aimé avoir plus… mais enfin… Et le président du jury – qui est toujours quelqu’un d’autre que le directeur de thèse – a fait traîner, traîner le procès-verbal (car c’est lui qui doit rédiger le procès-verbal final) de telle sorte que, deux ans après, il n’y avait toujours pas de procès-verbal ! Alors que l’étudiant croyait que c’était fait. Et au moment où il demande son diplôme, on lui répond « Non ! on ne peut pas vous l’établir, parce qu’on n’a toujours pas le procès-verbal de thèse. »

Tu vois un peu ! Alors, à ce moment-là, il m’a écrit un mot vraiment agressif, alors qu’il m’aimait bien, en me disant « C’est vraiment inadmissible, etc. » sous-entendu « T’as pas fait ton boulot ! ». Mais moi, j’avais fait mon boulot. J’avais tout remis au service du troisième cycle et normalement, c’était au président d’écrire et remettre ce rapport. Pour moi, c’était évident que ça avait dû se faire. On ne contrôle pas ces choses-là. C’est le troisième cycle qui le fait. Le troisième cycle avait relancé plusieurs fois ce président, mais la personne n’avait pas répondu. Alors quand j’ai reçu le mot de mon étudiant, j’ai téléphoné au président qui se trouvait à l’étranger. Je lui ai demandé : « Mais enfin, qu’est-ce qui se passe ? Ah oui ! c’est vrai… » Lui-même avait eu des problèmes et on n’en sort plus, quoi ! En fin de compte, il l’a rédigé, ce fameux rapport, mais il a fallu vraiment discuter. Et je sais que cet étudiant a ressenti une frustration et une certaine agressivité à mon égard à cause de ça. Ça, c’est des choses qui arrivent…

L.R. : Mais les relations, qu’est-ce qu’il en reste, après ? Comment tu sens qu’elles évoluent ?

René Barbier

Pour ma part, je dois dire qu’avec tous ceux qui ont soutenu leur doctorat avec moi, je reste en relation. Certains sont professeurs dans leur pays d’origine ou ont obtenu un poste important. Je reste en relation avec eux, avec tous. Mais jusqu’à présent, j’ai fait soutenir neuf thèses… C’est pas encore… je n’ai pas cent anciens thésards derrière moi, hein !

L.R. : Justement, c’est précieux. Parce que toi, tu parles de choses un peu uniques, que tu as encore en tête : 10 cas. C’est pas comme s’il s’agissait d’une masse où chacun serait perdu…

René Barbier

Non ! Ce que je perçois, moi, c’est l’importance de la relation et puis cet investissement de temps réel qu’il faut, pour vraiment suivre une thèse. En heures et en présence…

L.R. : Et c’est la question de la durée aussi.

René Barbier

Oui, et puis t’engager. Par exemple moi, maintenant, j’ai 60 ans. J’ai encore au moins cinq ans d’exercice. Je peux encore prendre des gens en thèse. Normalement, c’est trois ans en thèse mais c’est souvent plus de trois ans. Donc, quand tu t’engages avec quelqu’un, il ne faut pas que tu comptes trois ans parce que ce n’est pas vrai. La plupart des thèses, c’est 4 à 5 ans. Donc il faut que tu t’attendes à ce qu’il y ait à peu près cinq ans de « mangés » sur ta vie. Je peux prendre des thésards maintenant. Ça va. Mais si j’en prends dans deux ans, (ce qui est possible, puisque je peux en prendre jusqu’à soixante-cinq ans.), alors il faut que je sache que j’aurai encore à les soutenir éventuellement quand je serai en retraite. Mais il faudra bien que je les soutienne !

L.R. : C’est-à-dire que ça engage ta propre temporalité à toi, ton histoire de vie.

René Barbier

Voilà, tu es lié pendant plusieurs années. Et ça, c’est une sacrée responsabilité, même sur toi- même.

L.R. : Parce que c’est une aliénation.

René Barbier

Oui, c’est une aliénation. C’est pour ça, moi, que je me refuse à prendre n’importe quoi. Parce que je trouve que c’est un vrai engagement. Je ne vais pas, moi, engager ma vie comme ça, pour n’importe quoi. J’engagerai ma vie pour des choses qui me paraissent faire une brèche importante dans des directions de recherche qui me semblent essentielles en sciences de l’éducation. Je ne m’engagerai pas pour des sujets-bateaux ou des trucs qui ne me paraissent pas essentiels en sciences de l’éducation. C’est pour ça aussi que, avec mes thésards, j’ai forcément une relation d’amitié, parce que j’ai cette exigence-là. Forcément ! Ce ne sont pas des anonymes, pour moi. Et ce sont des gens avec qui j’ai travaillé réellement.

L.R. : Justement, ce qui m’intéresse, maintenant, c’est de voir avec quelqu’un qui n’a pas une formation en sciences humaines ni une formation clinique assez profonde, comme tu peux l’avoir, toi, voir donc quelqu’un qui accompagne une thèse en physique par exemple. Qu’est-ce qui se passe ? Ça m’intéresserait de voir d’une manière comparative…

René Barbier

A mon avis, il doit avoir les mêmes qualités.

L.R. : Oui… mais la question, c’est la conscience qu’il en a. Peut-être qu’il a une espèce de savoir – dont il n’a pas conscience – qu’il développe et qui est justement une espèce de clinique – que moi j’appelle profane. On pourrait voir que des gens, de fait, sont amenés à se former à des choses qui n’ont pas de grande parole légitime au niveau universitaire.

René Barbier

Ça serait intéressant de voir, en physique nucléaire, par exemple, où ça touche quand même les confins de la matière et de l’espace/temps, etc. de voir les interrogations chez les doctorants – interrogations qui ne sont plus scientifiques, mais qui deviennent métaphysiques. Et comment le directeur de thèse, à ce moment-là, assume cela ? Je trouve que ça serait intéressant, ça.

L.R. : Toi, tu as l’équivalent de cette question-là, le fait que l’approche du savoir aboutit à ça… Un peu comme de dire, de manière analogique, que dans la recherche de l’objet, si pour la psychanalyse, c’est la question du désir… que là, ça pose la question du monde, de l’existence…

René Barbier

Du réel, quoi ! Et de soi, par rapport à ce réel. Qui est-on, dans ce réel ? De quoi est-on constitué réellement ?

L.R. : On peut faire une différence entre l’accompagnement de type psychanalytique, avec sa finalité, ou la direction qu’on lui donne et puis ce que peut être l’accompagnement de thèse, mais ce sur quoi ça débouche, de toute façon.

René Barbier

Mais moi, je vis un petit peu ça avec mes doctorants qui se sont engagés par exemple dans la voie de la méditation. Parce que, par cette pratique, ils ont une ouverture de la conscience à quelque chose d’autre. Et comment récupérer ce quelque chose d’autre, dans un doctorat, dans du savoir ? C’est ça le problème ! Car ce quelque chose d’autre peut les entraîner vers beaucoup plus de profondeur et du coup, de relativité, par rapport à la dimension purement cognitive.

L.R. : Ça pose évidemment la question du temps, la question du devenir, de la durée, donc de la mort… Bon ! On a peut-être fait un petit peu le tour de la question, sauf s’il y a des choses comme ça, à bâtons rompus, qui te viendraient en plus.

René Barbier

Il y a peut-être une question qu’on n’a pas abordé – qui reste une question pertinente : c’est la question de la libidinalité entre le directeur de recherche et ses étudiants de troisième cycle parce que c’est un compagnonnage en longue durée, avec beaucoup de complicité, beaucoup de connivence, c’est-à-dire une osmose de la pensée. Donc quelque chose peut se nouer… un échange libidinal.

Il se joue nécessairement un échange libidinal mais ça peut aussi se transformer en échange amoureux. Il ne faut pas nier ça… Naturellement, on n’en parle jamais, puisque… c’est supposé ne pas exister ! Mais quand tu es un petit peu au courant de ce qui se passe dans les coulisses de l’université, tu sais bien que c’est complètement faux et que ça se passe : il y en a qui se marient avec leurs étudiants de doctorat… ou qui se remarient !…

Moi je crois que, ça aussi, c’est un point important. Parce que cette relation cognitive, affective, imaginaire, etc. présente tous les ingrédients pour déclencher éventuellement un phénomène amoureux – aussi bien de la part de l’étudiant, de l’étudiante que de la part de l’enseignant. Naturellement, ça peut se jouer, ça se joue beaucoup mieux quand il n’y a pas trop de différence d’âge ; quand c’est un caïman, comme on dit, quand c’est un « maître de conf », ou un jeune professeur, quand il n’y a pas trop de décalage d’âge… C’est un peu différent quand il y a un grand décalage d’âge, mais malgré tout, ça peut se jouer quand même, parce qu’il y a toutes les fonctions, toutes les représentations dont on a parlé et qui se jouent conjointement.

L.R. : Mais, parce qu’il y a de la libido nécessairement, la question qui peut se poser, c’est laquelle ? On a affaire là à un côté très narcissique…

René Barbier

Absolument, oui ! Mais quelle que soit la réflexion critique qu’on puisse avoir ensuite là-dessus, d’abord il faut toujours laisser la part au mystère de la vie et de la rencontre entre deux êtres… Ça, c’est ma position existentielle, ma philosophie existentielle qui parle. Moi, je me refuse à tout canaliser dans des trucs « on saurait »… Je crois qu’il y a toujours, comme ça, une part d’inconnu, de relation inconnue dans la vie… Mais en même temps, on ne peut pas nier que ça puisse exister, que ça puisse être. Et je trouve que la libidinalité fait partie de ce processus de réciprocité dans la direction de recherche, dans la relation directeur de recherche/étudiant.

L.R. : Oui, parce qu’il y a aussi l’amour d’un objet commun.

René Barbier

Voilà ! C’est l’amour d’un objet commun. C’est même souvent une connivence, une sorte d’amitié amoureuse, par rapport à une contestation que l’on mène ensemble, contre un certain nombre de pouvoirs établis dans la cité savante, par exemple.

L.R. : C’est peut-être ça qui est source d’une forme de connivence, comme tu disais, tu vois, le fait qu’au fond de cette relation, les deux (étudiant/professeur) sont alliés et que l’ennemi est à l’extérieur, dans ce cas-là… Ce qui peut être assez différent de relations initiales universitaires puisqu’on note, nous-mêmes, on est un peu « l’ennemi ».

René Barbier

Et naturellement, je dirai que si tu abordes ces autres dimensions de l’accompagnement, tu t’ouvres à quelque chose qui peut être fragile, chez toi comme chez l’autre. Et tu as beaucoup plus de possibilités d’entrer dans l’univers de l’autre, et réciproquement. Si tu restes dans ta fonctionnalité – technique, je dirai – de directeur de recherche, tu peux rester relativement froid par rapport à la libido. C’est relativement facile de rester « froid » et donc de te protéger par rapport à quelque chose que … ça ne t’empêche pas de sentir, éventuellement… Mais tu te protèges, en restant le professeur …

Tandis que si tu es dans quelque chose de l’ordre aussi de cette amitié qui se joue, rien ne dit que tu ne puisses pas être touché, parce qu’il y a une vraie connivence parce qu’il y a des secrets, parce qu’on se dit des choses, surtout, peut-être aux moments difficiles de crises. On se dit des choses à ce moment-là, telles, que ça nous rapproche. Et donc, c’est possible… Ça fait partie intrinsèque, à mon avis aussi d’une reconnaissance de l’accompagnement de recherche. Il ne faut pas en avoir peur. Ce sont des adultes qui sont en question, là. Nous ne sommes pas dans des relations avec des petits enfants. On est entre adultes. Souvent, quand les gens font leur thèse, ils ont 30 ans ou 40…

L.R. : Il serait intéressant de savoir si, à un moment donné, par exemple… on en arrive à se demander qui – finalement – accompagne qui…

René Barbier

Moi, ça ne m’est jamais arrivé… Mais…

L.R. : Enfin, que l’autre vienne tellement vous chercher, qu’au fond… Il vous fait vivre ! Tu vois ?

René Barbier

Ah ! oui ! Tu veux dire que sur d’autres plans, éventuellement, alors que c’est toi qui accompagnes le doctorant ; sur d’autres plans, le doctorant ou la doctorante va être pour toi un élément essentiel de ta vie, de soutien de ta vie. Oui, ça peut arriver, ça… Encore que… Moi je pense justement… Mais on revient toujours à la question des qualités pour être directeur de recherche, naturellement, des qualités qu’on ne développe jamais dans son habilitation… C’est pour ça que ce n’est pas tellement au niveau de l’habilitation que tu le sais. Mais pour moi, ça fait partie des qualités, c’est-à-dire : « comment être directeur de recherche, ouvert sur toutes ces dimensions, si on n’a pas un minimum de connaissance de soi ? » Moi, je ne crois pas. Il vaut mieux, à ce moment là rester un fonctionnaire… le fonctionnaire de la direction de recherche !

L.R. : Ce que tu disais, « c’est beaucoup plus large que ça »… C’est le fait d’aller dans une spatialité de la chose et de l’englober…

René Barbier

Et de prendre des risques. Tu prends des risques. Et dans les risques, il y a des risques libidinaux !