par René Barbier (2005)
Le pape Jean-Paul meurt en avril 2005. Quelques réflexions de René Barbier, contrastées, s’ensuivent.
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Le 2 avril 2005, à 21 heures 37, le pape Jean-Paul II est décédé. Je ne fais pas partie des croyants et je ne suis d’aucune religion. La mort d’un pape, pour moi, c’est d’abord la mort d’un homme. En tant que tel, le fait me touche, comme la mort de ce jeune homme poursuivi par des policiers, au même moment, à Aubervilliers, en France. Je ne fais aucune différence lorsque la mort touche les êtres humains. C’est la raison pour laquelle je suis absolument contre la peine de mort. Il me souvient que des criminels ont agonisé sur la croix, à côté du Christ.
Mais la mort du pape Jean-Paul II est celle d’un chef religieux plus que celle d’un homme. La société du spectacle s’en empare alors. L’ émotionnalisme généralisé s’y engouffre et masque, nécessairement, les failles d’une institution, celle de l’Eglise catholique. La mort du pape, c’est d’abord un « scoop » pour la société du spectacle. Ce qui fait vendre. Pour une fois, l’événement éclipse le dernier gadget sur le sexe. On assiste à une avalanche d’images et d’informations : un tsunami médiatique. Tout le monde est interviewé. De la petite jeune fille d’une paroisse de banlieue aux personnalités politiques ou religieuses de tout le Who’s Who. Evidemment, l’expression est dithyrambique. Inutile de demander, aujourd’hui, un commencement d’esprit critique sur l’homme de l’institution. Même Fidel Castro impose un deuil national dans son pays.
On pourrait pourtant réfléchir ensemble, après le silence affectueux relié à la mort d’un homme de bonne volonté, sur l’apport institutionnel de Jean-Paul II. N’est-ce pas, d’ailleurs, le propre d’un projet d’autonomie d’une société démocratique dont nous parle Cornelius Castoriadis ? Sans doute faut-il prendre de la distance à l’égard des formes de croyance de toutes les religions, en particulier de celles du Livre, comme l’a fait Michel Onfray dans son Traité d’athéologie, non sans une certaine violence.
Jean-Paul II a été un grand propagateur de la foi catholique. Il a donné une multitude d’entretiens, de communications. Il a visité 120 pays en 27 ans de pontificat. Comme on dit : « Il est allé à la rencontre des jeunes », notamment lors des rencontres en 1997 en France. Mais c’était de bonne stratégie à une époque où tout le monde sait bien que l’Eglise catholique est en perte de vitesse. Au Brésil, entre deux visites du pape, le nombre des évangélistes de la nouvelle église a été multiplié par deux. Le pape, dans ce pays, est allé dans presque tous les états. Jean Delumeau pense qu’il a été le « pape de la mondialisation » par son action universelle, un peu comme le pape Innocent III au Moyen-âge, toutes proportions gardées.
En tant qu’homme de l’Institution, Jean Paul II a joué un rôle positif sur quelques points déterminants dans le sens de la démocratie et des droits de l’homme.
– D’abord son activité de « dissidence » en Pologne lors du diktat stalinien avant la chute du mur de Berlin
– Sur le plan interreligieux, l’« esprit d’Assise » pour se rapprocher des autres grandes religions du monde. Les juifs et les musulmans ont rendu hommage à son action sur ce plan.
– Son ouverture à l’être humain dans tous les pays et sa lutte contre toutes les cultures de la mort, notamment dans le Tiers-Monde.
Mais nous ne devons pas oublier son traditionnalisme sur le fond, qui lui a fait manquer deux chemins où les croyants auraient eu besoin d’un secours beaucoup plus éclairé, même si le conseil aurait pu être mesuré.
– D’abord sa condamnation de la Théologie de la révolution en Amérique latine, qui a été très préjudiciable à tous ceux qui ont lutté, pendant tant d’années difficiles, pour contrer les systèmes oppressifs et toutes les tyrannies locales.
– Ensuite son conservatisme absolu sur la sexualité humaine : pas de mariage des prêtres, pas de prêtrise pour les femmes, pas de contraception même par préservatifs mais « abstinence ». Il faudra que son successeur choisisse entre la ligne traditionaliste de Pie IX (celle de Jean-Paul II) ou celle de Jean XXIII, pape trop vite disparu, plus révolutionnaire.
Sur ces points, l’image qu’il a donnée de l’Eglise est celle d’une institution figée et hors de son temps.
« Le pape est mort, vive le pape ! », comme on le disait du roi sous l’Ancien Régime. Le protocole de l’élection du nouveau pape est déjà prêt. Les cardinaux arrivent par avion du monde entier. Chacun attend la fumée blanche qui annoncera l’élection du nouveau pape. Pour nous, cela ne nous concerne que dans la mesure où les croyances font partie de l’esprit humain conditionné, et que, de ce fait même, il faut faire avec les rapports de force et de sens qu’elles renferment, en les analysant et en permettant à tous ceux qui le veulent bien, de relativiser leurs contraintes irrationnelles.