La mort de mon ami Léon Weber

2008, par René Barbier

A la mémoire de mon ami Léon Weber.

Mourir
S’endormir dans l’envers des choses
Prendre sa retraite sans la couleur des roses

Trouver l’impasse
Comme le chas d’une aiguille
Parler aux anguilles de la nuit
Ecarter les montagnes du bruit

Saisir le silence à la gorge
Tomber dans l’onde de soi-même

Caresser l’horizon
Accueillir ce qui vient
Le vent la terre le feu la mer
Le mystère d’une main
Ce qui déchire tous les fonds
Ce qui se dit en lumière

Mourir
Laisser partir les mots
Vers le monde des abeilles
S’ouvrir à l’infini
Où plus rien n’est pareil
Où l’enclos change de sens

Ce vendredi 23 février 2007, le corps de mon ami Léon a été incinéré au crématorium du cimetière du Père-Lachaise. La cérémonie d’accompagnement, organisée par Françoise, sa femme, et par Hélène et Gilles ses enfants, a été de haute spiritualité, dans une perspective d’ouverture et de compréhension de toutes les sagesses de l’humanité.

J’ai connu Léon Weber dans les années soixante-dix. Lorsque Florence Guist-Desprairies m’a annoncé sa mort, nous avons été atterrés. Car Léon était la santé même, physique, psychologique et spirituelle. Dans les années soixante-dix, il était porté, emporté, par la psychanalyse. Je me souviens des dialogues d’une amitié conflictuelle qui nous unissaient lorsque je lui parlais alors d’une autre forme de regard sur le monde à partir du sens de la vie de Krishnamurti. Il n’était pas du tout convaincu.

C’est vers le milieu des années quatre-vingt qu’il a opéré un véritable virage spirituel par la découverte d’une spiritualité qui lui convenait parfaitement. Il s’y est engagé à fond comme il savait le faire. Il a transformé son sens de la vie et de la mort, au sein d’une expérience singulière de la vie mentale, corporelle et suprasensible.

Léon, après cette période, était méconnaissable : beaucoup plus alerte et léger dans son corps, une joie profonde sur le visage, une positivité à l’égard de la vie qui emportait toutes
les négativités si souvent affirmées dans les sciences de l’homme. Je me souviens, dans les années 2000, quand j’ai dû donner un mot de passe pour un cours de Licence en ligne
portant sur « Le sens de l’éducation », avoir proposé le mot « Léon » spontanément. En effet, pour moi, mon ami avait trouvé le mot de passe pour s’ouvrir au véritable sens de
l’éducation qui est aussi un sens de la vie et de la mort.

Dans les années soixante-six, Léon luttait encore avec lui-même, avec sa souffrance, ses ressentiments, son histoire personnelle et d’origine difficile. La psychanalyse l’aidait sans doute, mais, comme il l’a reconnu lui-même dans un entretien accordé pour la revue Pratiques de formation/Analyses de l’université Paris 8, la psychanalyse ne peut réussir que dans l’analyse des blocages des trois premiers chakras de l’être humain : le vital, le sexuel et l’émotionnel. Léon, dans les années 80 s’était ouvert aux autres niveaux de l’être : le sentimental de l’amour inconditionnel, l’expressif et le symbolique, le spirituel numineux.

Ce nouveau regard, issu d’une expérience personnelle chez lui, a métamorphosé son rapport pédagogique et psychosociologique. Ce qui lui importait le plus désormais était le positif sur le négatif, le corporel sur l’abstrait, l’instant sur la durée, la présence sur le collectif, l’existentiel sur l’intellectuel, le sacré incarné sur le religieux codé. 

Nous étions alors de plus en plus proches. Il faisait partie de mon réseau de connivence et même si nous ne nous voyions pas souvent, il intervenait dans la formation que je dirigeais à l’université et je le savais, présent, dans mon champ symbolique, comme je crois j’étais présent dans le sien. Nous nous rencontrions dans des réunions communes comme celle à l’occasion de la candidature de Pierre Rabhi, l’écologiste de la décroissance, à la Présidence de la République.

Léon, « mon vieux Léon » comme dit Georges Brassens, est parti sans faire de bruit, tranquillement. Gageons que la joie durable qu’il avait dans les yeux, l’a accompagnée dans son grand départ vers l’autre rive.

Ce vendredi 22 février 2008, un an après, je reçois une lettre d’une profonde tendresse et d’une grande émotion de son épouse. Nous serons tous là, dans le souvenir, comme tu
nous le demandes Françoise…