Cours “Sens de l’éducation” de René Barbier (2001) – Séquence 8 : Sensibilité poétique et structure de vie formative

  Dans les années 2000-2001 René Barbier travaillait à la création d’un cours destiné à être mis en ligne sur internet. Intitulé “Sens de l’éducation” et composé de dix séquences, ce cours fut la toute première expérimentation d’un enseignement à distance sur internet qui devait conduire en 2005 à la création de la Licence de sciences de l’éducation en ligne de l’Université Paris 8 à Saint Denis. Cette licence existe toujours aujourd’hui en 2023, et elle a été complétée d’enseignements de Masters 1 et 2. L’ensemble des séquences de ce cours figureront bientôt sur le Journal des chercheurs.  Bien noter qu’il arrivait à René Barbier de reprendre ultérieurement des fragments de ce cours, aussi est-il possible que le lecteur en retrouve parfois quelques-uns au gré de ses lectures dans d’autres rubriques du site.  

Cours “Sens de l’éducation” de René Barbier (2001) – Séquence 8 : Sensibilité poétique et structure de vie formative

Présentation

La sensibilité poétique s’insère dans une structure de vie et dessine une étape du processus éducatif. La structure de vie peut se distinguer en quatre parties. Celle de l’homme fermé, celle de l’homme existentiel, celle de l’homme poétique et celle de l’homme noétique.

Au niveau 1 (homme fermé), l’individu est cloisonné en lui-même par ses appartenances et ses références inconscientes. Le niveau 2 (homme existentiel) est la résultante d’une épreuve de vérité sur son propre désir en lutte avec le désir d’autrui et le principe de réalité. Mais, un flash existentiel peut le faire advenir au niveau 3 (homme poétique). Il y découvre la puissance de l’imagination fertile, la reliance particulière du symbole poétique, la puissance joyeuse de la dimension artistique de la vie. Encore une ouverture et il peut atteindre le niveau 4 (homme noétique). À ce niveau, la conscience n’est plus simplement “conscience de” quelque chose mais conscience d’être où être-en-devenir et conscience sont synonymes, comme le sont naissance et mort, amour et création.

L’éducateur passe par ces étapes et élabore une structure de vie formative animée par la confiance et la convivialité, sans exclure, bien au contraire, la reconnaissance de l’implication subjective et l’imaginaire toujours à vivre et à élucider.

Sensibilité poétique et structure de vie formative

Principales structures de vie

A partir d’une longue pratique poétique et d’un cheminement méditatif à travers la symbolique des approches orientales de la vie, je conçois actuellement l’organisation de l’existence humaine d’une manière quadruplement structurée.

L’évolution vers une autorisation spirituelle ou noétique dans nos sociétés consistant à passer d’une structure de vie dans une autre (du niveau I au niveau IV ).

Il est patent, en général, que les deux premières structures de vie (I et II) correspondent à la première moitié de la vie et les deux dernières à la seconde moitié (proche de la théorie de Jung, 1996).

Je reprends la notion de “structure de vie” à Levinson (Houde, 1989(1986), elle décrit en détail la théorie de D-J. Levinson). Pour moi il s’agit de l’existentialité d’une personne c’est-à- dire une configuration de valeurs, de symboles et de mythes personnels et sociaux, d’idées et de sentiments, d’émotions et d’affects, de sensations, formant un système relativement cohérent porteur de sens et débouchant sur des comportements et des opinions pour la personne en question.

Homme fermé

Au niveau I (structure de vie “fermée”), l’existentialité de la personne est des plus closes, hétéronome dirait Castoriadis. L’individu est prisonnier de son milieu social d’origine ou d’appartenance. Il est soumis aux contraintes et aux règles sans avoir vraiment prise sur elles. Il ne sait même pas qu’il est ainsi aliéné car son habitus est presque parfait.

On nomme ainsi en sociologie une matrice, un cadre symbolique, un schème de perception, de représentation et d’action qui est le résultat méconnu et, en quelque sorte invisible, d’un ensemble de rapports sociaux structurés ayant imposés leurs contraintes à l’individu depuis son enfance (habitus primaire) jusqu’à l’époque considérée (habitus secondaires). Cette méconnaissance nécessaire de l’imposition de contraintes sociales contribue à ce que l’habitus reproduise les structures d’inculcation de ces contraintes sociales et, du même coup, contribue à reproduire l’ordre social.

Ainsi l’adulte des milieux ouvriers ne sait pas que son goût de la musique légère (par opposition à la “grande musique”) ou son “dégoût” de la peinture d’avant-garde, son respect quasi sacré pour la Science et le Savoir, en même temps que ses transgressions possibles, son type de sanctions éducatives plutôt musclées, ses attitudes politiques et ses votes , ses intérêts et ses besoins culinaires, ses types de relations conjugales et amicales etc, sont des effets de son habitus de classe (Bourdieu et Passeron, 1970).

Le concept d’habitus formulé par P. Bourdieu et J-C. Passeron dans La reproduction, éléments pour une théorie du système d’enseignement, est largement employé aujourd’hui en sciences de l’éducation. Par exemple C. Dubar, La socialisation. Construction des identités sociales et professionnelles, 1991, pp.65-71, ou l’ouvrage de Marcel Lesne et Yvon Minvielle, Socialisation et formation, 1990.

Homme fermé et peur de vivre

Dans ce style d’existentialité, l’individu reste largement dépendant de son milieu social qui lui impose un horizon culturel bouché. Pierre Bourdieu parle d’un “blocage dans l’horizon culturel”. Il ne voit pas plus loin que ce que “sa” micro-société lui a inculqué. Tout le reste est source d’angoisse et met en jeu un système de défense parfois très violent. Ces dernières années, un des “apparatchiks” haut placé du Parti Communiste soviétique était interviewé, après le putsch raté. Il s’exprimait, à l’égard de la doctrine communiste comme un croyant devant son livre sacré. Il n’envisageait pas de changer d’attitude et, au moins, d’ajuster sa vision du monde à la réalité qu’il avait sous les yeux. Évidemment il était plutôt angoissé pour l’avenir.

Un autre communiste, interrogé à propos du déboulonnage de la statue de Lénine dans une grande ville, manifestait son opposition en répondant qu’« il fallait bien croire en quelque chose ». Un poète, qui est également un homme très cultivé en sciences humaines, Claude Roy, a dit un jour qu’il fallait se débarrasser, en nous et dans notre société, des “dieux vivants, des petits pères du peuple et du besoin de croire” (Roy, 1981).

L’homme fermé est avant tout l’individu de la peur et du déni de tout changement, de toute métamorphose, donc de toute mort. Il est l’homme structuré par une inhibition à vivre pleinement et entièrement soumis à la toute-puissance d’un imaginaire leurrant fécondant des émotions intenses, bien qu’il ait souvent une très grande difficulté à les exprimer. Sa peur de l’Autre est considérable et le racisme ou la xénophobie toujours latents.

Nous pouvons affirmer que ce type d’individu exprime une méfiance absolue à l’égard de la vie et un non-amour de soi qui peut se manifester par un besoin d’aider autrui englué dans un faux-self altruiste. Son existence est souvent d’un ennui profond compensé parfois par une suractivité illusoire. Il est par excellence l’être de l’apparence sociale, de la “persona” dont parle Carl Gustav Jung.

La structure sociale actuelle lui donne malheureusement une place de choix dans sa hiérarchie institutionnelle, car l’« emprise de l’organisation » joue sur l’immaturité affective des individus pour les enfermer dans une demande d’amour abstraite à son égard (Pagès et al., 1979), sans exclure un imaginaire social institutionnalisé et animé par une pulsion de mort extrêmement prégnante comme l’a montré Eugène Enriquez (1983, 1980, 1973, 1972).

Fin de l’homme fermé

Malgré tout, l’« homme fermé » bute, comme tout le monde, sur le réel. Sa résistance et son pouvoir de s’illusionner ne sont pas infaillibles, en particulier dans nos sociétés où jouent des processus d’autonomisation et de différenciation. L’« homme fermé » s’ouvre ainsi au monde par le truchement de “flashs existentiels” qui le remettent en question.

Songeons, en cas de chômage, à la chute vertigineuse de standing et de prestige social d’un cadre supérieur atteint par une limite d’âge arbitraire et une fusion d’entreprise (Jugnot, 1991). Ou à la destruction de toute une famille en cas de guerre ou d’incendie (histoire de Martin Gray). Le flash existentiel peut être bouleversant et conduire l’individu concerné vers la deuxième structure de vie : celle de la vie existentielle.

Le film d’Yves Jugnot “Une époque formidable” (1991), qui montre la déchéance d’un cadre commercial à la suite d’un licenciement et sa chute dans l’univers des “nouveaux pauvres” de la capitale. Martin Gray est un écrivain français. Un exemple de résilience au sens de Boris Cyrulnik. Seul rescapé de sa famille de ghetto de Varsovie, il verra de nouveau sa propre famille anéantie par les flammes lors d’un incendie dans le Sud de la France. Malgré cela, il rebondira dans la vie avec une espérance renouvelée.  

Il est très difficile de quitter vraiment et complètement la phase d’existence de l’homme fermé car elle s’appuie sur un narcissisme évident, et comme dit la psychanalyse sur une compulsion de répétition. C’est le mode d’existence du “moi, je” et d’“après moi, le déluge” ! Cela ne m’empêche pas de penser que l’individu en question ne connaît pas, pour lui-même, comme pour les autres, l’amour de la vie. Car la vie, dès le début, est ouverture risquée et non fermeture sécuritaire. Cornelius Castoriadis affirme même que la vie psychique ne se développe que par une déclôturation nécessaire et d’origine sociétale, de l’unité fusionnelle de la psyché de l’“infans” (c’est-à-dire du bébé encore lié à sa mère).

Homme existentiel et la personne

Je pense que la survivance de traits de personnalité de l’“homme fermé” dépendra de l’intensité des flashs existentiels qui le propulsent dans d’autres structures de vie. Certains peuvent, à cet égard, déboucher immédiatement dans la quatrième structure de vie, la vie spirituelle (noétique), par une vision pénétrante de la réalité impermanente de l’existence individuelle et sociale. Dans ce cas, et à titre tout à fait exceptionnel, le stade de l’homme fermé est gommé définitivement. Dans les autres cas, le chercheur clinicien doit toujours examiner de près les attitudes et les comportements des personnes, comme de lui-même, pour se faire une opinion avec prudence.

On passe dans une structure de vie supérieure quand l’individu, à la suite de sa rencontre avec la réalité, découvre consciemment que les autres existent aussi pour le meilleur et pour le pire. L’individu devient vraiment une personne à ce moment en s’existentialisant.

J’appelle une personne l’individu qui a découvert dans son for intérieur le fait évident d’être relié aux autres et au monde dans l’acceptation paradoxale d’une altération inéluctable et d’un continuum identitaire de soi-même. Par cette reliance vécue, à la fin d’un long processus d’individuation, la personne devient un individu intégré chez qui il n’y a plus personne à nommer, ce qui caractérise la sagesse même du stade noétique.

L’homme de “la vie existentielle” possède le sens de la liberté et de la finitude. Il a rencontré le désir de l’autre sans le nier et s’y est confronté. Il sait désormais qu’il n’a pas tous les pouvoirs sur l’autre. Cet autre peut l’aimer ou/et le détruire. “J’ai vécu et ce mal a fait plus d’un mort ” affirmait le poète hongrois Attila Jozsef, qui avait tenté, dans un accès de délire, de tuer sa psychanalyste (Rousselot, 1958 ; Brabant, 1982).

La société, par ses institutions, tente de circonscrire sans cesse le jeu de son désir et il sait qu’il doit, à la fois respecter ses règles et les soumettre à la critique vigilante au nom de la liberté. Il se veut lucide, engagé, responsable et solidaire. Mais il est dans un conflit permanent, gérant les contradictions internes et externes.

Contrairement à l’homme “fermé”, il ne saurait s’aveugler avec des loisirs rassurants, des gadgets sophistiqués, des institutions confortables. Il sait bien que rien ne sert de fuir car les

contradictions existentielles se déplacent avec lui et, de toute façon, le monde reste là, même s’il ferme les yeux. L’homme existentiel est ainsi porteur d’une angoisse incontournable. C’est un homme tragique qui vit souvent dans l’ambivalence, l’équivocité et la complexité, résolues provisoirement par un sens du “projet”, cette ultime vitamine illusoire de l’action. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir de l’humour dans le meilleur des cas et de savoir rire de son programme au nom même de son projet.

On reconnaîtra dans les figures humaines de Jean-Paul Sartre ou d’Albert Camus des portraits exceptionnels de la “structure de vie existentielle”. Aujourd’hui c’est peut-être l’écrivain autrichien Thomas Bernardt, si clairvoyant sur la mentalité de son pays, comme des groupes humains en général, que j’invoquerai pour l’exemple. Evidemment, on le taxe facilement de penseur “négatif” alors qu’il n’est qu’un écrivain tragique et lucide. Je placerai également Sigmund Freud dans cette position ontologique, pour son regard stoïque et compréhensif sur la souffrance, mais un peu voilé sur le social-historique (Schur, 1982).

Homme poétique

Ce type de vie est troué en permanence par des flashs existentiels de plus ou moins haute intensité. Ils le provoquent à aller de l’avant, à ne jamais s’arrêter et se routiniser. Mais ils le mettent également “face à l’Abîme” comme dit Castoriadis. Tous ne peuvent dépasser ce point incandescent de l’ existence. A ce moment, il y a des moyens plus ou moins ouatés pour tamponner la vie béante : la sexualité débridée, les voyages à l’infini, le filtrage ou l’extinction des rêves par l’obsession professionnelle ou la cigarette, l’alcool, les drogues et parfois la folie ou le suicide.

C’est souvent dans l’adolescence que l’on entre dans le style de vie existentielle, par la révolte avec son milieu, avec la société “malade” d’injustice et les rêves d’une autre fraternité possible. Mais l’adolescence est également le temps des plus hautes incertitudes quant à soi- même, à son avenir, à son identité sexuelle (Dolto, 1988 – La cause des adolescents, où elle propose une écoute  sensible à partir du propos qu’elle tenait souvent “La naissance est mort, la mort est naissance”). C’est le temps des questionnements radicaux et des réponses qui se veulent définitives. Plus que jamais à cette époque de la vie, une écoute adulte et parentale doit être attentive et ouverte. D’autres réussissent à passer le cap vers l’“existence poétique” parce qu’ils éprouvent un besoin absolu de créer et d’imaginer activement.

J’ai nommé cette troisième phase la structure de vie “poétique” parce que ce terme est porteur de plusieurs significations intéressantes à l’heure actuelle. Il est d’abord très large. Tout devient poétique aujourd’hui dès lors qu’il s’agit de faire croire à l’existence d’un univers un peu différent de la morosité ou de la banalisation spectaculaire de la vie quotidienne. La publicité fait un usage gourmand de ce vocable, parfois avec des réussites sur le plan symbolique et mythique (Sauvageot, 1987, Figures de la publicité, figures du monde, qui reprend les catégories de pensée de Gilbert Durand pour les appliquer, d’une façon magistrale, au phénomène publicitaire).

Homme noétique

L’homme noétique (J. Macrez, “L’autorisation noétique : par quels cheminements parvient-on à la réalisation de soi ?” 2002, Thèse sciences de l’éducation,  mars 2002,  Paris 8) pourrait correspondre à la qualité d’un être humain en son point d’accomplissement du processus d’individuation dans l’optique jungienne. Dans une autre perspective plus spirituelle, cet état noétique représente l’expression de la “réalisation” de la conscience éclairée, de l’”illumination”, du “satori” dans  le bouddhisme zen. Acceptons l’idée qu’il s’agit d’une structure de la conscience qui n’est plus la conscience d’un “moi” mais d’une connaissance de la totalité en mouvement du réel sans commencement ni fin. C’est la conscience sans ego et non intentionnelle.

Ce type de conscience peut comprendre toutes les autres structures de vie, mais elle les dépasse complètement. Elle se situe sur un autre plan de réalité dont on peut difficilement parler. Parfois, nous pouvons tenter de la faire transparaître dans les images poétiques. Beaucoup de mystiques ont éprouvé le besoin d’écrire poétiquement leur état d’âme après une illumination. Mais il ne s’agit jamais que d’une approche tangentielle et inachevée. Bien qu’il ne manque rien chez le sage qui a pu vivre cet état, il lui manque toujours les mots pour le dire.

Si la parole réussit trop bien à cet égard, au point de perpétuer un état de fascination et de révérence, le sage décide de s’en séparer d’un seul coup, comme ce fut le cas de Krishnamurti à partir de 1931. “Le vol de l’aigle ne laisse pas de trace” comme il l’exprimait et sa mort physique est insignifiante, sans tombeau pour les pèlerinages. Les cendres de Krishnamurti furent dispersées en trois endroits différents (Californie, Grande-Bretagne, Inde).

L’homme noétique est celui qui connaît le silence intérieur, la tranquillité soyeuse au sein du fourmillement extraordinaire de la vie dont il apprécie toutes les nuances. Par ce passage, il ressent toutes choses et tout être comme partie intégrante d’un champ symbolique que nous pouvons nommer “la poétique”. Homme de l’instant, il tisse la durée sans faire de projet. Homme de l’amour et de la compassion, il est sans attachement. Homme de la vie totale, il est aussi l’homme de la mort radicale. Homme de la solitude la plus abrupte, il est l’homme de la reliance la plus épanouie. Homme de l’attention, il est sorti du fantasme.

Krishnamurti osait dire qu’il n’avait plus de rêve, car le rêve est toujours le résidu d’un inaccomplissement. Cet état de conscience est très difficile à comprendre pour un Occidental, voire même impossible, fût-il un brillant psychanalyste comme Cornelius Castoriadis, comme il le montre dans un entretien récent avec quelques-uns d’entre nous.

Notion de “structure de vie formative”

L’éducateur ou le formateur d’adultes commence par créer un état de confiance et de convivialité dans le groupe dont il est responsable. Il doit inventer une “structure de vie”

avec la participation de tous. Sans son institutionnalisation, aucun échange symbolique ne peut se développer créativement.

La notion de “structure de vie”, proposée par Daniel J. Levinson, me semble un concept clé, à l’heure actuelle, tant en formation d’adultes qu’en formation initiale. J’ai toujours moi-même été soucieux, dans les groupes de “recherche-formation existentielle” que j’ai menés (Barbier, 1996 ; 1989), de me centrer sur cette question.

Dans son ouvrage The seasons of Man’s Life, analysé par la Canadienne Renée Houde (1989 (1986)), D. J. Levinson définit la structure de vie comme le schème sous -jacent de la vie d’une personne donnée en un temps donné . Plus particulièrement référée au sens de la vie des adultes, la structure de vie comprend les relations de travail et autres éléments de la vie professionnelle, les relations amoureuses (le mariage, la famille), la relation à soi-même (les expériences corporelles, les loisirs et la récréation, la solitude), les rôles dans les divers contextes sociaux.

Ces composantes peuvent être centrales ou périphériques suivant qu’elles sont plus ou moins significatives pour le “self” en drainant une certaine part d’énergie et de temps pour la personne concernée. Pour Levinson, le concept de “structure de vie” est centré sur la frontière entre le self et le monde. Il est possible de la considérer sous trois aspects :

  • L’aspect socioculturel de l’individu (classe sociale, religion, ethnie, race, famille, système politique, structure de travail, conditions et événements particuliers comme la crise économique de 1929, la Guerre, les mouvements de libération).
  • L’aspect des dimensions du “self” (transactions avec l’environnement : désirs, conflits, anxiétés etc.; ou, mise à l’écart) .
  • L’aspect de la participation dans le monde à travers les divers rôles joués (citoyen, travailleur, patron, amant, mari, père, membre de telle association etc.).

La structure de vie d’une personne change par déplacement d’une des composantes du centre vers la périphérie, des investissements personnels (ou inversement), par sa disparition ou sa métamorphose brutale. Levinson identifie deux sources principales de changement d’une structure de vie : la maturation de la psyché et du corps humain et les figures de base de la société. Elle évolue à travers une séquence standard de périodes ou de phases.

Définition

En reprenant certaines des composantes de la structure de vie de la “saison” du jeune adulte dans sa phase novice (entre 17 et 33 ans), et en les élargissant, nous pouvons inventer un modèle de “structure de vie formative” susceptible d’intéresser les enseignants, les éducateurs et les formateurs d’adultes. Il comprendra les éléments suivants :

  • Le rêve de vie conçu comme “Principe-espérance” (Ernst Bloch) que l’individu entretient avec le monde. Qu’espère-t-il faire de sa vie professionnelle, amoureuse, sociales, culturelle etc.?
  • La relation à un mentor doté de qualités humaines, relationnelles et intellectuelles évidentes, c’est-à-dire à une personne qui fait référence pour la direction de vie du sujet, en particulier dans le rapport à sa propre formation. Il ne sera pas inutile que le formateur d’adultes ou l’enseignant, sur ce point, puisse se porter candidat. Sans doute ce mentor a-t-il une certaine ressemblance avec le “maître” d’enseignement tel que le conçoit Dany-Robert Dufour et d’autres collègues de mon département (Dufour et Berthier, 1996).
  • La relation à un groupe de soutien (les parents, les amis proches) avec lequel le sujet peut échanger et sur lequel il peut s’appuyer matériellement et symboliquement.
  • La relation à un groupe de pairs (le groupe-formation), à son degré de cohésion, à son affectivité, à son emprise et à son influence positive et négative.
  • Le rapport au savoir enseigné, au contenu de la formation et aux méthodes

pédagogiques comme aux qualités humaines du formateur.

  • L’environnement institutionnel du groupe-formation (les espaces architecturaux et relationnels, conviviaux et culturels qu’offre l’institution de formation).

Structure de vie formative et imaginaire

Cet ensemble de composantes d’une structure de vie formative détermine un imaginaire implicationnel plus ou moins prégnant pour le formé. Le formateur, en tant qu’animateur, doit en tenir compte et le développer sans cesse s’il veut obtenir une efficience pédagogique. Cet ensemble imaginaire doit être écouté et compris selon une logique à trois dimensions (pulsionnelle, sociale et sacrale) comme je tente de la théoriser sous le nom d’“approche transversale” depuis de nombreuses années (Barbier, 1996). Mais le concept d’“imaginaire collectif” articulant spécifiquement l’imaginaire social et l’imaginaire personnel, élaboré par Florence Giust-Desprairies dans son livre sur une école nouvelle, L’enfant rêvé (Giust-Desprairies, 1989), est également de toute première importance à cet égard. Plus globalement c’est à la problématique de la multiréférentialité élaborée au fil des années par Jacques Ardoino que se réfère une éducation pour notre temps (Ardoino 1977 ; 1993 (en coll. avec R. Barbier).