Rêve, réveil, éveil

2016, par René BARBIER

Je suis un rêveur impénitent. Comme beaucoup et même comme tous je rêve. Les rêves sont observés depuis déjà plusieurs dizaines d’années par des éminents savants. Mais je fais partie d’environ le tiers de la population qui fait des rêves lucides. En particulier il m’arrive souvent d’avoir à interrompre la durée de mon rêve et de décider de me réveiller. Dans certains cas, je modifie le contenu du rêve dans le sens conscient.

Le sommeil est lié au cerveau

Outre ses deux hémisphères, il agit par le système nerveux central qui comprend également plusieurs structures : le thalamus, l’hypothalamus et le tronc cérébral gèrent les besoins primaires (respirer, manger, percevoir les cinq sens) ; le cervelet s’occupe des mouvements ; la moelle épinière joue le rôle de relais entre le reste du corps et le cerveau. Elle fait remonter les informations en provenance de toutes les zones de l’organisme et y diffuse les informations communiquées par le cerveau.
Toutes ces structures sont composées de cellules bien particulières : les neurones. Ils sont spécialisés dans la transmission d’informations d’un endroit à l’autre. Certaines de ces cellules remontent les sensations perçues par nos cinq sens, d’autres au contraire transmettent les ordres de notre cerveau à notre organisme, par exemple respirer, manger, bouger le petit doigt de la main droite.

Des neurones communicatifs

Une autre grande particularité des neurones par rapport à d’autres cellules est qu’ils ont la faculté de communiquer entre eux. C’est même leur raison d’être. Chaque neurone est ainsi composé d’un noyau, d’un cytoplasme et d’une membrane : rien que de plus normal puisque c’est une cellule. La différence, c’est qu’il possède également des axones, sortes de très longs filaments, qui vont lui permettre de communiquer avec d’autres neurones, via des impulsions électriques, qui vont libérer des molécules neuromédiatrices. Ainsi, le neurone émetteur envoie des neurotransmetteurs qui sont captés par les récepteurs du neurone suivant. 
Il existe des séries de neurones spécialisés, dont les récepteurs reconnaissent certains neurotransmetteurs en particulier comme la dopamine, la noradrénaline, l’acétylcholine, la sérotonine, l’endorphine, la mélatonine… Tels sont quelques-uns des neurotransmetteurs les plus connus. Parmi eux, la mélatonine joue un rôle très important dans la régulation du cycle veille-sommeil. La sérotonine, quant à elle, est connue pour être le neurotransmetteur du sommeil, tandis que la noradrénaline permet de rester éveillé. Ces deux systèmes neuronaux fonctionnent de concert.

Le sommeil comporte plusieurs phases

On le sait, le sommeil comporte plusieurs phases. Le sommeil obéit à un mécanisme bien précis et évolue par cycles de 90 minutes en moyenne. Le sommeil se divise en plusieurs stades successifs. L’analyse de ces différents stades permet de mieux comprendre comment, et à quel moment l’on rêve…

  • Stade 1 : L’endormissement dure quelques minutes. Les mouvements du corps diminuent, et l’esprit plonge dans un état de semi-conscience.
  • Stade 2 : Le sommeil léger représente environ la moitié du sommeil total. Le corps est immobile, mais l’individu reste réceptif aux stimuli extérieurs (il peut se réveiller facilement).
  • Stade 3 : Le sommeil profond représente environ un quart du sommeil total. Le rythme cardiaque est ralenti et la respiration est régulière.
  • Stade 4 : Le sommeil paradoxal est la période durant laquelle on observe de rapides mouvements oculaires, et une activité cérébrale très importante. Tout le reste du corps est quasiment immobile, d’où ce terme de sommeil paradoxal. C’est durant cette phase qui dure à peu près un quart d’heure, que beaucoup des rêves surviennent et peuvent être mémorisés.

Toutes les 90 minutes environ, le cycle se répète, plusieurs fois dans la nuit, jusqu’au réveil. La phase paradoxale représente à peu près 2 heures de la durée totale du sommeil. Mis bout à bout, l’être humain passerait donc en moyenne plus de 6 ans de sa vie à rêver ! Chaque cycle de sommeil se découpe en trois grandes phases aujourd’hui clairement identifiées : l’éveil calme, le sommeil profond, le sommeil paradoxal.

L’éveil calme

Il existe en premier lieu la phase d’éveil calme, qui ne fait pas à proprement parler partie du cycle de sommeil puisqu’elle n’intervient qu’en début de nuit. Elle précède et suit immédiatement le coucher. Les signes sont multiples : les paupières sont lourdes, les bâillements sont de plus en plus constants, le sommeil vient gagner l’individu. Mais avant qu’il vienne vous happer pour plonger dans un sommeil profond, il faut encore passer par la phase d’éveil qui peut bien sûr durer plus ou moins longtemps, d’autant qu’il n’est pas rare que l’on lutte pour ne pas se coucher tout de suite. Pendant tout ce temps, une personne peut encore être pleinement consciente et être éveillée, même si son esprit peut divaguer un peu et s’évader jusque dans des réflexions à la frontière entre la réalité et le songe. Ca y est, elle dort : la voici dans la phase de sommeil lent ou profond. 

Le sommeil profond

Elle est ainsi nommée parce que l’activité électrique du cerveau évolue en ondes très lentes (entre 0 et 5 hertz). Pendant cette période, l’ensemble des fonctions de l’organisme humain fonctionne au ralenti. Le rythme cardiaque diminue, ainsi que la pression sanguine, la respiration se fait plus paisible, la température corporelle baisse et même le cerveau semble se mettre au repos. D’où l’activité électrique réduite : tout fonctionne a minima. Cette phase de sommeil lent est elle-même décomposée en quatre sous-phases. Plus on avance dans le temps, plus les ondes sont de grande amplitude : la fréquence diminue. Au total, cette phase dure entre 60 et 75 minutes, même si c’est évidemment très variable d’une personne à l’autre.

Le sommeil paradoxal

Après une bonne heure, donc, l’individu quitte le sommeil lent pour entrer dans une phase de sommeil paradoxal, ainsi dénommée car les comportements du cerveau et de l’organisme semblent parfaitement contradictoires. D’un côté, le cerveau paraît avoir un regain d’énergie : la fréquence des ondes augmente et devient équivalente à celle enregistrées pendant l’éveil. En revanche, le tonus musculaire est complètement à plat : impossible de bouger ou de réagir rapidement. Il est donc paradoxal que le cerveau semble très réveillé alors que le reste du corps, lui, est plus profondément endormi que jamais. Cette période de sommeil paradoxal est d’autant plus intéressante que c’est à ce moment que se déroulent tous les rêves les plus aboutis et précis mais aussi les plus incohérents au premier abord. Il semble que la conscience soit complètement « anesthésiée » afin de laisser place à l’expression de l’inconscient. On estime que cette phase dure entre 15 et 20 minutes même si, là encore, ce peut être très variable d’un individu à l’autre.
S’ensuit une courte phase dite « intermédiaire » : l’organisme sort progressivement du sommeil paradoxal, prêt à se réveiller. Pendant quelques minutes, il va hésiter : il peut se rendormir pour un nouveau cycle ou se réveiller, estimant que le temps de sommeil a été suffisant. Au cours de la nuit, chaque personne enchaîne donc ainsi les cycles et une bonne nuit de sommeil comprend généralement quatre ou cinq cycles calqués sur le schéma du haut.

Du rêve lucide

Du point de vue phénoménologique

Une façon de circonscrire le rêve lucide est de l’envisager sous l’angle phénoménologique, c’est-à-dire d’étudier le phénomène tel qu’il apparaît dans les descriptions rencontrées dans la littérature, scientifique ou non, et les rapports personnels des rêveurs. On peut scinder cette description en trois points : les modalités d’apparition de la lucidité, les actions des rêveurs une fois devenus lucides et la manière dont la lucidité onirique disparaît.

L’apparition de la lucidité

On classifie depuis Celia Green les rêves lucides en deux grands types selon le mode d’apparition de la lucidité : au cours du rêve même ou bien au moment de l’endormissement. Stephen LaBerge a introduit l’usage des acronymes DILD et WILD pour les distinguer : DILD (dream-initiated lucid dreams) s’applique à ceux où le sujet prend conscience de son état à l’intérieur d’un rêve en cours ; WILD (wake-initiated lucid dreams) à ceux où il pénètre consciemment dans un rêve depuis l’état de veille. Plus de 80 % des rêves lucides sont des DILD

Au cours du rêve

Lorsque la lucidité apparaît au cours d’un rêve, le rêveur a soudain l’impression de s’éveiller et il peut continuer de rêver tout en sachant qu’il rêve. Celia Green distingue quatre facteurs qui induisent cette reconnaissance de l’état de rêve : les tensions d’une situation cauchemardesque, les interrogations suscitées par un élément incongru ou irrationnel dans le contenu du rêve, le rappel d’une technique habituelle d’observation introspective ou encore la reconnaissance spontanée, sans raison apparente, du fait que l’expérience diffère de celles de l’état éveillé. Concernant le premier facteur, Bouchet remarque que, si les émotions violentes sont considérées comme une cause fréquente d’apparition de la lucidité, celle-ci peut tout aussi bien être provoquée par une émotion forte à connotation agréable. Il arrive enfin plus rarement que la lucidité onirique se manifeste de manière graduelle.

Au moment de l’endormissement

Lorsque, suite à un endormissement conscient, la lucidité onirique constitue le prolongement de l’état de conscience éveillée, le sujet dispose de deux indicateurs pour savoir qu’il est passé de l’éveil au rêve : le sentiment de faire partie intégrante du rêve et la perte (ou la modification) des sensations corporelles. Afin de s’endormir consciemment, le sujet doit traverser l’état hypnagogique au cours duquel se manifestent soit de l’imagerie hypnagogique, soit des hallucinations auditives, soit encore des hallucinations kinesthésiques et cénesthésiques (sensation de flottement, de tournoiement, de chute, impressions de vibrations, d’engourdissement ou de paralysie, impression de sortir de son corps).
Dans certains cas, la conscience de l’endormissement présente des fluctuations, parfois même des absences durant lesquelles le sujet ne garde aucun souvenir. On considère malgré cela qu’il s’agit d’un endormissement conscient car la perte temporaire de conscience se situe avant l’émergence du rêve.

Expérience du rêve lucide

Le fait de se savoir rêver offre au rêveur la possibilité d’élargir son éventail d’options et d’aborder le contexte onirique avec une plus grande liberté d’action. Il peut non seulement exercer un contrôle sur lui-même et ses actes, mais aussi intervenir délibérément sur l’environnement, les personnages et le cours du rêve. Certaines actions se présentent avec une grande régularité, comme le rêve de vol ou de lévitation. D’autres expériences plus inhabituelles ont été signalées dans la littérature, comme les sorties hors du corps, les transformations en animaux et créatures fantastiques, le dédoublement de la vision, la vision panoramique à 360°, le ralentissement du temps et des expériences à caractère cosmique comme l’évolution dans un espace à quatre dimensions]. Le rêveur peut aussi agir sur la durée du rêve en prenant la décision de le prolonger, et parfois même l’interrompre en se réveillant, en faisant un décompte par exemple, ou tout simplement par la pensée pour se réveiller instantanément, voire de le reprendre en se rendormant quelques secondes après.

Bien que les seules limites théoriques soient celles de l’imagination, les croyances culturelles ou personnelles sur le rêve, les attentes conscientes ou préconscientes du rêveur, ses supputations sur le fait que telle chose soit possible ou non, en particulier l’influence exercée par d’autres récits, déterminent jusqu’à un point remarquable la forme que les rêves prennent ainsi que la capacité dont dispose le rêveur à les modifier. De même, l’expérience du sujet, son degré de lucidité, c’est-à-dire le point jusqu’auquel il est parvenu à conserver sa capacité de raisonnement, de jugement et de recul sur l’aspect illusoire de la situation et sur les émotions qu’elle engendre, influent sur le contenu et la tonalité de l’expérience. Quant à la perception, elle peut aller d’un état brouillé jusqu’à une impression de grande vivacité et de parfait réalisme. Ainsi différents critères de l’expérience, qui concernent aussi bien la conscience de soi que l’environnement onirique, sont susceptibles d’importantes variations d’un rêveur à l’autre, d’un rêve lucide sur l’autre, voire à l’intérieur du même rêve.

Perte de la lucidité

La façon dont la lucidité onirique prend fin peut être définie comme la perte de la conscience de rêver. Soit elle est liée à la disparition du rêve et le rêveur se réveille, parfois volontairement, parfois à cause d’émotions trop intenses ; soit le rêveur relâche sa vigilance et se laisse distraire : la lucidité se dissipe alors et il retombe dans un rêve ordinaire et incontrôlé. Dans certains cas, la lucidité se perd dans un rêve ordinaire à cause de la transition d’une scène onirique à une autre, par exemple sous la forme d’un rêve de faux-éveil.

Du point de vue de l’observation statistique

Une grande partie de la population a fait au moins une fois dans sa vie l’expérience spontanée de la lucidité onirique, ne serait-ce que fugitivement, par exemple dans un cauchemar lorsque la prise de conscience du fait de rêver précède de peu l’éveil.

Plusieurs études ont été menées pour déterminer la fréquence du rêve lucide dans la population. Selon les études, le pourcentage de personnes déclarant avoir connu au moins un rêve lucide varie entre 26 % et 82 %. Cet éventail peut s’expliquer par le choix de la catégorie de personnes interrogées (pris au hasard, étudiants en psychologie, intéressés par le sujet), par d’éventuelles différences de la définition du rêve lucide, par la confusion avec les rêves prélucides ou l’absence de vérification du contenu du rêve. Il est plus rare par contre que ce phénomène se produise fréquemment. 21 % à 37 % des sujets témoignent d’une certaine régularité (une fois par mois ou davantage)[16]. Le rêve lucide semble se rencontrer plus souvent chez les enfants. Selon Armstrong-Hickey, 63 % des enfants de dix ans assurent faire des rêves lucides chaque mois, ce taux tombant à 36 % pour les enfants de 12 ans.

Aucune différence marquante n’a été trouvée entre les sujets plus souvent lucides dans leurs rêves et les autres en termes de sexe, d’éducation ou de facteurs de la personnalité.

Plusieurs études ont montré des différences de contenu entre les rêves lucides et les rêves ordinaires. En particulier, les rêves lucides contiennent des émotions plus intenses.

La plupart des rêves lucides se produisent durant les phases de sommeil paradoxal et au cours des dernières heures de sommeil. Certains rapports mentionnent des rêves lucides pendant les stades du sommeil lent léger. Les rêves lucides sont aussi plus fréquents durant les siestes l’après-midi. LaBerge a montré qu’une interruption du sommeil dans la nuit, suivie d’une veille d’une durée de quarante-cinq minutes à une heure avant de se rendormir (ce principe a été appelé Wake-Back To Bed, en français « réveil, retour au lit ») augmentait significativement les probabilités d’apparition de la lucidité onirique.

Elaboration d’un modèle neurobiologique

Selon le neurologue Allan Hobson, le cortex préfrontal dorsolatéral constitue le fondement de plusieurs fonctions cérébrales comme la mémoire de travail, la pensée volontaire, la conscience de soi et le jugement critique. Cette zone est ostensiblement moins active durant le sommeil paradoxal et ses fonctions sont amoindries, ce qui causerait la perte du jugement critique durant le rêve ordinaire. Durant le rêve lucide, le cortex préfrontal dorsolatéral se réactiverait à un niveau proche de celui de veille, alors que le système limbique, le pont et les aires temporales et postero-latérales du cortex resteraient suffisamment hyperactifs pour maintenir les caractéristiques émotionnelles et perceptuelles du rêve. En 2007, cette hypothèse n’a pas encore été vérifiée expérimentalement.

Ethnologie du rêve lucide

Hors du monde occidental, on trouve peu de références évidentes au rêve lucide. L’absence dans d’autres cultures du concept de rêve lucide, l’existence d’une compréhension différente du rêve, dans laquelle le facteur significatif porte souvent sur le contenu plus que sur le critère de conscience, la possibilité de plaquer des concepts occidentaux sur des phénomènes qui ne sont pas exactement similaires, sont quelques-unes des difficultés rencontrées par la recherche anthropologique.

Le seul cas sur lequel n’existe aucun doute est le yoga du rêve développé par le bouddhisme tibétain, un ensemble de pratiques méditatives en état de rêve lucide. Son principe est de reconnaître, durant le rêve, que l’on est en train de rêver afin de percevoir la dimension illusoire et modifiable à volonté des productions oniriques. Ce yoga trouve ses origines au Nord de l’Inde dans les Six yogas de Nāropa, rédigés au xie siècle, et au Tibet dans divers aspects des pratiques d’origine chamaniste de la religion Bön. Les enseignements principaux des yogas du rêve tibétain reposent sur la Tradition orale de Zang Zhung, une instruction couchée par écrit au viiie siècle (mais considérablement plus ancienne selon la tradition Bön) et sur le Tantra Mère.

Dans les années 70, la republication des écrits de Kilton Stewart sur les Senoi, une ethnie de Malaisie, a propagé l’opinion selon laquelle le contrôle du rêve (et de là le rêve lucide) jouait un rôle prépondérant dans leur vie sociale et qu’il était enseigné dès le plus jeune âge. S’il est vrai que les Senoi accordent au rêve une grande importance, plusieurs études menées ces dernières décennies ont démenti le fait qu’ils pratiquaient une quelconque forme de contrôle ou de lucidité oniriques.

Mes rêves lucides

J’en ai fait plus d’un. Beaucoup relèvent de non réalisation de désirs ou de pulsions habituelles dans les rêves. Krishnamurti affirmait ne pas rêver parce que – disait-il – il vivait sa relation au monde d’une façon totale et instantanée. Heureusement je peux arrêter mon rêve très souvent, surtout en situation tragique. Je procède ainsi lorsque la situation est particulièrement angoissante. Ainsi lorsque je me sens en danger ou je sens mes proches dans la même situation dans mon rêve. Je me dis alors : tu es en train de rêver, il suffit de te réveiller. Et je me réveille.
Mais certains sont des grands rêves, c’est-à-dire ceux qui révèlent une réalité supranormale.
Plusieurs d’entre eux ont eu une influence déterminante sur ma vie.

Dans certains cas, je décide de modifier le contenu de mon rêve. Ce fut ainsi l’expérience quasiment mystique que j’ai eue dans le rêve que j’appelle l’univers. Je me trouvais dans une chambre sol allongé sur le lit lorsque j’ai entendu la porte s’ouvrir. Ma chambre était dans l’obscurité et lorsque la porte s’est ouverte une grande lumière éclairait l’extérieur. Un homme gigantesque, en armure, avec une épée de chevalier, se trouvait sur le seuil. C’était un chevalier noir. J’ai su immédiatement dans mon rêve que c’était la mort. Pris d’une frayeur panique, je me suis retrouvé sous le lit complètement recroquevillé. J’espérais qu’il ne me verrait pas.
Mais je compris que ce comportement n’avait aucun sens. La mort est capable de tout voir et de tout comprendre. Il ne me restait plus qu’à l’affronter. Cette nouvelle attitude chez moi était liée à ma culture dans le domaine des spiritualités de l’humanité. Je savais que se confronter lucidement à sa propre mort est une voie de connaissance.
Tout à coup, je me lève et je bondis à la gorge du chevalier noir. À peine l’ai-je touché, que je me retrouve dans les étoiles. Je suis une entité cosmique. À la fois moi et en même temps univers. Sentiment extraordinaire de compréhension de la reliance avec tout ce qui est avec un sentiment d’amour altruiste radical.
Je me réveille alors subitement. Un poème jaillit dans ma tête. Je me lève et je vais l’écrire d’une seule traite à mon bureau. Le voici :

Univers,

Roulement presque nu à l’intérieur de soi

Petite bête de lumière

Tempête de seconde en seconde

Univers,

D’abord une étendue d’eau et de nuitée

Echo venu d’un coquillage

qui ne dira jamais son nom

Profondeur du printemps

Silence de l’hivers

Univers,

Un jour je m’habillai de toi-même

Derrière l’Homme noir démantelé

Beauté en chaque région

Bonté en toute chose

Immensité de la quiétude posée là

Sur un seul point

Vieillesse et Jeunesse à jamais réunies

Sous la vague

Univers,

Presque une bulle d’air à la surface

De l’Ailleurs

Changements et chaos, mouvances et stabilités

Dérisoires

Tout est Rien

Les siècles passent comme des éponges

Le feu se nourrit de l’eau

La terre n’est qu’une branche de l’air

Univers,

Inutile de te parler

Tu es la porte derrière chaque mot

L’imperceptible frontière, le vol d’un papillon

Univers,

Dans une poignée de mains

Quand vient la longue douleur de ne plus rien savoir

Quand le dernier être aimé a disparu dans tes sillons

Quand la solitude arrache le bleu des images

Univers impensé et pourtant perçu

Comme une trappe dans le futur

A mi-chemin de toute trace

Derrière le bruit

Au coeur de l’élan

Univers,

Pareil à l’enfant qui danse

Au son d’un pipeau

Univers,

Confiance

Dans ce qui nous arrive

Je suis toi à même le jour

Tant d’ombres font des pirouettes

Dans l’espace d’une vision

Je pars à l’aventure avec en guise d’oranges

Le mot amour et l’invisible

Rene barbier

Rêve et éveil

Ce type de rêve me met sur la piste d’une relation entre le rêve lucide de haute intensité et ce qu’on appelle l’éveil dans la tradition spirituelle notamment en Asie. D’abord reconnaissons, que les maîtres spirituels de ces régions du monde, sont capables de diriger absolument leurs rêves. Dans le bouddhisme tibétain, le maître spirituel conduit son disciple à imaginer des situations idylliques, paradisiaques, qu’il doit complètement s’approprier et auxquelles il doit s’identifier. Quand cela devient un état de fait, il demande à son disciple de l’effacer complètement de sa mémoire. Disciple peut ainsi se rendre compte de la relativité des états de conscience diurnes ou rêvés. On connaît l’anecdote à propos du rêve du papillon de Zhuangzi. Il se demandait si pendant ce rêve il était Zhuangzi qui rêvait du papillon ou si au contraire il était un papillon qui rêverait de Zhuangzi.

La réflexion que j’ai à propos de la possibilité d’arrêter un songe désastreux, me conduisant ainsi à revenir à une réalité moins tragique, n’est pas la manifestation d’un processus de l’inconscient qui se nomme inversion dans son contraire. On sait que l’inconscient déguise le désir refoulé ou réprimer souvent par une expression onirique inverse au désir ou à la réalité impossible. Ainsi, si ma femme a décidé de me quitter, et que je le sais inconsciemment, je vais rêver que c’est moi qui pars pour un long voyage. On peut se demander si arrêter son rêve, en situation tragique, n’est pas simplement revenir à une vie diurne qui serait le véritable rêve de l’existence.

Le grand rêve

Le grand rêve manifesterait ainsi une clairvoyance sur ce qui est véritablement pour nous autre chose en guise de ce que Basarab Nicolescu appelle le « tiers caché ». Il se peut que la barbarie dont nous sommes les témoins et parfois aussi les acteurs n’est que l’inverse d’une réalité fondamentale secrètement inclus en nous-mêmes. Je sais bien que ce type d’interprétation est bienveillant à l’égard de l’être humain. Elle peut cacher une réalité insupportable. Mais pourquoi justement est-il insupportable ? Ne serait-ce pas par ce que nous avons en nous-mêmes un « clair-joyeux » qui n’est pas du tout de même nature. Personnellement je ne connais pas les sens de ce clair-joyeux indéfinissable et en fin de compte la grande inconnue. Se peut-il que le cerveau avec ses millions de neurones et d’interconnexions inimaginables soit l’instrument récepteur de quelque chose qui nous dépasse mais que nous trouvons pourtant à l’intérieur matériel de nous-mêmes. L’éveil, dans ce cas, serait de retrouver subitement la vraie réalité symbolique complètement inclus dans le réel non connaissable. Cette réalisation serait alors bouleversante à tous points de vue. Ce que nous percevons serait remis en question au profit d’une autre interprétation. Celle-ci ne serait pas le fruit d’une idéologie religieuse, mais d’une expérience intime de la conscience éclairée. On conçoit facilement qu’un tel bouleversement conduise le sujet vers une marginalité sociale au moins dans un premier temps. Il est probable que par la suite son comportement dans la société suive des voies tout à fait autres que celles suivies par lui habituellement.

Bibliographie


Philosophie Encyclopedia Universalis article Jean-François Lyotard 
http://www.universalis.fr/encyclopedie/reve/

Sur neurophysiologie du rêve article Henri Ey 
http://www.universalis.fr/encyclopedie/conscience/

RÊVE, neurophysiologie – Encyclopædia Universalis
http://www.universalis.fr/encyclopedie/sommeil/#

Rêve  lucide RÊVE, https://fr.m.wikipedia.org/wiki/R%C3%AAve_lucide

Université Lyon1
https://sommeil.univ-lyon1.fr/index_f.php
https://sommeil.univ-lyon1.fr/articles/listes/fr/SA.php